« Voi ch’entrate qui… » : l’enfer selon Jean-François Elslander

Jean-François Elslander - Le cadavre.L’histoire des Lettres belges francophones est jalonnée de grands noms, dorénavant incontournables : les illustres De Coster, Lemonnier, Rodenbach, Eekhoud, Maeterlinck, Verhaeren ; les satellitaires Baillon, Bourdouxhe, Michaux, Detrez ; les populaires Simenon, Nothomb, Harpman, Toussaint… pour ne citer qu’eux ! À côté de ces quelques références, d’autres plumes, moins (re)connues, méritent qu’on s’attarde sur leur encre. Ce qui est indéniablement le cas de Jean-François Elslander.

 

Dans son excellente, et très instructive, préface du Cadavre, Frédéric Saenen retrace une double trajectoire : d’une part, celle de l’auteur du scandaleux Rage charnelle dont les écrits dégagent une tenace odeur de souffre ; et d’autre part, celle du naturalisme à la belge (qui se différencie du mouvement hexagonal) relayé – et défendu plus d’une fois – par le courageux éditeur Kistemaeckers. Ce balisage est une boussole appréciable afin de naviguer au mieux dans les eaux troubles de la prose d’Elslander.

 

Dans Le Cadavre – bref récit tiré des « Études naturalistes » qu’il publia en 1891 –, un colporteur égaré en campagne, un soir de tempête, se réfugie dans une masure qui paraît abandonnée : « Il avait devant lui un vide noir, mystérieux comme l’entrée d’une caverne, et où ne voletait le plus petit bruit… » S’ensuivent des évènements où les forces de la terreur entrent en collusion avec celles de l’imagination pour se confondre en images fortes, saturées. En effet, tous les sens du lecteur sont mobilisés, voire électrisés, au fil des pages. L’écriture d’Elslander est comme l’atmosphère à laquelle elle donne corps : surchargée (l’on se souviendra que Lemonnier, le bien mal nommé « Zola belge », était taxé par ses détracteurs de « Macaque flamboyant »). Ici, les substantifs appellent les nombreux adjectifs, les paragraphes progressent en spirale, les images percutent et se précisent, la tension lézarde les évocations. De petites maladresses pointent de temps à autre, mais ne déforcent en rien la crispation grandissante.

 

Un petit bijou de macération à découvrir une nuit d’orage, à la lumière vacillante d’une lampe à pétrole, dans un silence que l’on pense absolu, jusqu’à ce que…

 

Samia Hammami

 

Jean-François Elslander, Le Cadavre, Talence, L’Arbre Vengeur, Collection « L’Arbre à clous », 2013, 92 pages, 9€.

 

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