Le courage de vivre

En ce printemps 1940, Léonard Stein réfugié depuis trois ans à Sanary est inquiet : le havre de paix qu’il avait cru trouver en France s’avère peu sûr. Depuis que la guerre a été déclarée le 3 septembre 1939, l’étau se resserre sur tous ceux qui comme lui, hostiles au régime ont dû quitter l’Allemagne. Fils d’un libraire influent de Mannheim, ce jeune caricaturiste de presse a été arrêté après la publication d’un dessin qui a déplu. Déporté à Dachau, il a été expulsé de son pays sans un sou.
À Sanary, ce Montparnasse sur Mer, il a retrouvé bon nombre de personnalités comme Bertold Brecht ou Thomas Mann, qui ont dû s’exiler comme lui. D’abord bien accueillis, les Allemands sont vite devenus l’objet de suspicions, de rejet. Et un matin, c’est l’arrestation, direction Le Camp des Milles. Dans cette ancienne tuilerie près d’Aix en Provence, sont regroupés tous les opposants, les métèques, l’intelligentsia de la Mitteleuropa. 
Au début, dans ce camp de transit encore situé en zone libre, peuplé de journalistes, d’avocats, d’artistes, une synagogue est autorisée, ainsi qu’un bar, un cabaret. Ceux qui ont de l’argent s’offrent des repas copieux. Un certain nombre d’apatrides le quittent en toute légalité, en partance pour des pays plus accueillants que la France. Des bénévoles viennent de Marseille apporter de quoi adoucir l’ordinaire. Les reclus eux-mêmes peuvent en sortir ponctuellement.
Le jeune homme rêve d’exil, aidé par Margot une jeune bénévole juive née à Marseille. Ce sera Cuba où il pourra rêver plus large, mais une vielle contravention l’en empêche. Ce sera le Mexique, mais les retrouvailles avec son père, lui aussi déporté par le plus grand des hasards au camp lui feront oublier le projet. Au fil des mois, la situation se durcit jusqu’aux jours terribles de 1942 ou Le Camp des Milles se transforme en Vel d’Hiv du sud. Des convois sont organisés vers le nord et les destinations dont on ne revenait jamais.
Léo et Margot, fous amoureux l’un de l’autre, aidés par des Justes, un pasteur, un gardien des Milles organisent la résistance dans le camp où la jeune fille d’un courage inouï est internée volontaire afin d’empêcher qu’un maximum de femmes et d’enfants juifs ne soient déportés. Souvent en vain.
Dans Ce pays qu’on appelle vivre, Ariane Bois mêle grande histoire et littérature. Autour de ce Camp des Milles que le grand public connait peu, elle imagine une idylle entre deux jeunes gens que tout oppose, à part leur judéité. Lui l’Allemand, elle la Française, née de parents hongrois vont s’unir pour résister dans la splendeur des paysages et des ciels du sud. La jeune femme est aussi courageuse que généreuse : elle fait tout pour que l’homme de sa vie puisse partir même si elle souhaite ardemment le contraire avant de s’unir à lui dans la lutte. 
Comme dans ses précédents romans, tel Le gardien de nos frères, l’auteur s’attache à immortaliser un fait peu connu de l’histoire de la seconde guerre mondiale. La résistance juive dans le premier, le Camp des Milles dans le second. Dans ce pays qu’on appelle vivre gravitent des figures essentielles de la lutte contre les nazis comme Valerian Fry ou le Schindler mexicain.
Terrible par les conditions de vie qu’il décrit, le manque de nourriture, d’hygiène, le destin annoncé d’un grand nombre de protagonistes, le roman est pourtant lumineux : Léonard Stein réussit à survivre grâce à l’art : il rencontre des personnalités comme Marx Ernst ou Franz Hessel et participe à la réalisation de fresques, d’ailleurs toujours visibles.
L’énergie, l’optimisme de la jeunesse, la force de l’art triomphent malgré l’horreur, les drames vécus par les protagonistes. Ils font de ce roman un livre plein d’espoir qui résonne avec l’actualité et les conditions d’accueil réservées aux exilés d’aujourd’hui.

Brigit Bontour

Ariane Bois, Ce pays qu’on appelle vivre, Plon, janvier 2023, 280 p.-, 20,90 €

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