Valentine Goby, "Un paquebot dans les arbres"

Mathilde est un vrai garçon manqué : elle ne rate jamais une occasion de faire les quatre cent coups avec des gars de son âge pour que son père la remarque, lui qui aurait tant aimé qu’elle ne soit pas une fille. Car une fille, il en a déjà une, Annie…..la belle Annie. Alors Mathilde manque de se noyer, prend les risques les plus stupides pour que Paul Blanc sorte de ses gonds et la gronde, signe tangible de son intérêt pour elle.

Paul, le tenancier du Balto, le roi du village qui fait danser toute l’assemblée le samedi avec son harmonica, organise les repas des chasseurs et les concours en tous genres.

Paul qui travaille nuit et jour, sept jours sur sept, offre à boire à tous, fait crédit aux autres, le héros sans lequel le village de la Roche n’aurait pas d’âme ou une beaucoup moins belle. Paul, l’amoureux que sa femme Odile partage un peu contre son gré avec tout le monde.

Mais un jour, le travailleur infatigable commence à s’épuiser. On parle de bacille, il doit quitter le Balto pour un commerce plus aléatoire, vendre des frites sur la route, élever des souris blanches pour les laboratoires. Une pure horreur.

Puis le mot terrible de tuberculose est prononcé. Certes dans les années cinquante, le fléau commence à être maîtrisé, mais pas chez lui, diagnostiqué trop tard. La vie de Paul et des siens devient un cauchemar entre séjours au sanatorium en forme de paquebot où Odile, contaminée elle aussi le suit et brèves périodes de répit où ils reviennent en paria sans le sou à La Roche. Car les tubards font encore peur même si la maladie se guérit à coups d’antibiotiques et d’opérations moyenâgeuses. Et surtout Paul et sa famille n’ont plus un sou : trop généreux, le cafetier n’a rien épargné et les soins coûtent cher pour ceux qui n’ont pas la sécurité sociale au début des années soixante.

Valentine Goby décrit dans Un paquebot dans les arbres la descente aux enfers d’une famille de la classe moyenne d’après-guerre. Une famille que la maladie décime et réduirait à être à la rue, s’il n’y avait pas l’extraordinaire force de caractère et le courage de Mathilde, le petit garçon manqué. Elle, qui à seize ans, dix sept ans tient tête aux assistantes sociales qui ont commencé par les placer son jeune frère et elle surtout, chez une veuve échappée d’un univers à la Dickens. Mathilde, qui sans argent étudie pour être comptable et tient à bout de bras ses parents malades, leur rendant visite chaque week-end au sanatorium. Mathilde qui n’a pas les rêves de son âge, pas de rêves dut tout d’ailleurs, sinon celui de maintenir l’unité de cette famille morcelée. Qui fera passer le bien des siens avant sa propre vie et manquera la perdre un soir de trop grande fatigue.


L’héroïne de Valentine Goby se bat bec et ongles pour survivre, et sortir les siens du cauchemar où ils sont tombés, avec une maturité étonnante.

Il y a du Zola dans ce livre là, dans la description de cette France des Trente glorieuses qui ne l’étaient pas pour les plus faibles. Ses descriptions de la misère font froid dans le dos, celles de la résilience et de la force d’âme de la jeune fille émeuvent comme rarement. Il y a de la poésie aussi dans ce roman là, avec cette écriture magnifique, cette vision d’un grand paquebot blanc qui disparaîtra avec les années au fur et à mesure que la tuberculose ne sera plus qu’un sale souvenir.


Brigit Bontour


Valentine Goby, Un paquebot dans les arbres, Actes sud, août 2016, 267 pages, 19,80 euros.

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