Quand la maison devient une scène

Plus que des décors de luxe abrités dans de somptueuses propriétés, ce sont les fastes de la culture des siècles passés et du monde qui défilent à travers leurs styles, page après page, dans cet ouvrage que l’éditeur a soigné comme le créateur italien les siens. Peintures inspirées de Pompéi, palais de Byzance, compositions évoquant les Maharadjahs, manoirs dans la campagne anglaise, résidences au soleil toscan, appartements à Venise, Miami ou Hambourg, « folies, cottages, villas », à chaque site son cachet. Cet homme qui traitait le riche acquéreur avec la même courtoisie que le jeune ébéniste, considérait toute maison dans sa singularité, sa complexité, son individualité, accordant au simple détail la même attention qu’à la vue générale, mettant ainsi le galon au niveau du guéridon.

 

Renzo Mongiardino est né à Gênes en 1916. Il étudie l’architecture au célèbre Politecnico de Milan. Celui que l’on a appelé « L’enchanteur ultime » va peu à peu se spécialiser dans la décoration intérieure et concevoir l’aménagement des demeures d’un grand nombre de personnalités fortunées ainsi que de lieux emblématiques, d’œuvres de théâtre et de cinéma. On peut lire à la fin du livre quelques noms qui signent la confiance accordée à son talent. Ils sont écrits sur le dos des dossiers en carton clair que l’on imagine contenir l’essentiel des projets du promoteur des « roomscapes » : Thyssen, Agnelli, Niarcos, Hotel Lambert, Eugenij Onegin, Frabboni Bologna, Venaria Reale…Il faudrait ajouter à cette liste des « happy few » comme Gianni Versace, Aristote Onassis, les Rothschild, l’acteur Raymond Rouleau et le scénariste-producteur, Franco Zeffirelli, la princesse Lee Radziwill. Au terme d’une existence vouée à accroître jusqu’à un point souvent incroyable la beauté des logis, Mongiardino est mort en 1998.

 

Quel style caractérisait Renzo Mongiardino? Difficile à dire. Mongiardino n’inventait pas, il réinventait pour mieux imaginer ce qu’il allait créer, en s’appuyant sur le passé, seul socle solide à ses yeux. Il associait, pour offrir une ambiance, une identité propre, un climat adapté aux goûts de son client, de multiples influences : arts antique, renaissant, baroque, classique, oriental. Cela se traduit par un mélange toujours élégant, subtil et harmonieux de cuir, bois, carreaux de céramiques, marbre, pierre, nacre, soie, émail, chintz, porcelaine, argent et bronze afin de donner aux salons, aux bibliothèques, aux chambres, aux salles de bain, aux escaliers, un ton particulier, original dont chaque photo rend compte. Grâce à des mises en place uniques en leurs genres des colonnes, des bustes, des sofas et des lits, des tables, des canapés, des tableaux, des miroirs, des reliures, des marqueteries et des frises, des lustres et des lampes, l’architecte garantissait le confort aux propriétaires dans un suprême raffinement, sans que parfois des touches folkloriques ou champêtres ne soient introduites aux côtés des tapisseries dix-huitièmes afin de casser ce qui aurait été jugé trop pompeux ou solennel! L’exubérance lui a été un lent apprentissage, permettant à l’admiration de garder sa mesure. 

 

Cet homme cultivé et discret, entouré comme un peintre du Cinquecento réfléchissant à une ville idéale d’une abondante barbe et cherchant l’équilibre comme « Alberti et sa façade de Santa Maria Novella à Florence », voyageait sans cesse en compagnie de la jet-society entre New York, Rome, Londres et Paris. L’héritage de Palladio, de Piranèse, de Charles-Louis Clérisseau, de De Chirico, de son professeur Gio Ponti, défenseur du design et fondateur de la revue Domus, transparaît dans son travail aussi sobre qu’éclectique, rigoureux que fantaisiste. Mais à partir de là, le génie de Mongiardino a été de laisser libre son génie d’ensemblier, d’agenceur de l’espace auquel il confère une autre perspective, de « trompeur d’œil » qui fait que chaque pièce devient une scène d’opéra, un recoin intime, un hall de réception, un serre où l’on peut dîner. Les citations qui émaillent ce livre témoignent de son savoir inégalé pour marier les couleurs, disposer les meubles, imaginer des motifs, « transformer une pièce vide et banale en un véritable château de conte de fées ».

 

Ce beau volume raconte l’itinéraire architectural du noble professore qui, à l’écart des modes, travaillait, comme le dit sa petite-fille au début du livre en reprenant l’expression, « tard dans la soirée, à ses heures intelligentes ».  

 

Dominique Vergnon  

 

Laure Verchère, Renzo Mongiardino, décors et fantasmagorie, Editions Assouline, juillet 2013, 27 x 34 cm, 192 pages, 140 illustrations, 70 euros. 

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