Les aventures de Sherlock Holmes ? Élément non tari, my Dear Watson…

DOWNEY BY LAW

L’édition dvd du Sherlock Holmes de Guy Ritchie ne manquera pas de contenir de nombreux bonus, mais ils seront tous superfétatoires, dans la mesure où le film lui-même contient son propre making of. Nombreuses sont en effet les séquences qui s’articulent en deux temps : quand, par exemple, Holmes s’apprête, sur un ring de boxe, à régler son compte à son adversaire, il commence par répéter mentalement — mais pour nous visuellement — les coups qu’il va donner, et ce n’est qu’ensuite, lorsque son « découpage » est prêt, que nous le voyons exécuter la vraie action de façon fulgurante, si fulgurante même qu’elle serait pour nous illisible si nous n’avions pas préalablement assisté aux « répétitions ».
   
Avant d’être une aventure de Sherlock Holmes, Sherlock Holmes est donc d’abord un film sur le cinéma. À l’exemple que nous venons de donner, sorte de making of sur les cascades, on pourrait ajouter la séquence finale, dans laquelle Holmes révèle et explique à Watson comment le grand méchant a pu faire croire qu’il avait été pendu haut et court tout en restant parfaitement vivant. Bonus « intégré » sur ce que les spécialistes appellent « effets spéciaux physiques » (autrement dit, réalisés en direct sur le plateau).
   
Cette mise en abyme pourrait être gratuite et simplement amusante si ne se dessinait aussi à travers elle une réflexion sur l’intelligence : ces découpages de l’action ne sont pas autre chose qu’une étude raisonnée des rapports entre le sensible et l’intelligible, et des processus grâce auxquels l’esprit peut triompher de la matière, décomposant celle-ci dans un premier temps pour mieux la recomposer ensuite. Ce n’est pas un hasard si le décor central de ce Sherlock Holmes est un Westminster Bridge en construction, donc encore à faire, et qui de toute façon restera composé sur le principe de deux morceaux qui régulièrement s’abaissent pour n’en faire qu’un seul. Architecture composite. Images de synthèse… Les vieux ronchons, même, accuseront Ritchie d’avoir cédé à la mode de l’esthétique videogame, mais ce sont les mêmes qui, il y a deux siècles, auraient protesté contre le mythe de Frankenstein, centré lui aussi autour de la recherche d’une unité à partir d’éléments a priori disparates. Peut-être plus encore que celle de Conan Doyle, la grande ombre qui plane sur cette aventure est celle de Poe, d’ailleurs nommément cité dans une réplique. Sont-ils si nombreux, les films qui ont entrepris de montrer à travers des images le fonctionnement même de l’esprit ?
   
Cependant, ce Sherlock Holmes n’est pas tout à fait à la hauteur de cette noble et folle ambition. Ce processus de reconstitution, de reconstruction, est certes parfaitement rendu à l’intérieur de chaque scène. Scénariste et réalisateur ont même eu le courage d’inclure un épisode dans lequel l’infaillible méthode du détective débouche sur une erreur énorme qui lui vaut de recevoir un verre de vin en pleine figure, la fiancée de Watson n’appréciant guère d’être traitée de croqueuse de diamants quand elle n’a quitté son précédent fiancé que parce qu’il était mort. Mais le bât blesse pour ce qui touche à l’intrigue principale. Le Méchant, grand patron d’une espèce de secte qu’il impressionne par des pouvoirs surnaturels qui ne tiennent en fait qu’à ses dons de prestidigitateur, est un très intégriste Britannique dont l’ambition suprême est d’amener le Royaume-Uni à (re-)conquérir les États-Unis. Projet bien curieux et bien ridicule, sans doute purement déterminé par des calculs de marketing. En effet, le marché visé en priorité par Sherlock Holmes est visiblement celui des États-Unis, mais, comme James Bond, Holmes est un héros parfois beaucoup trop britannique pour être accepté automatiquement par les Américains. Il est même si peu connu du jeune public Yankee que lorsque, il y a une vingtaine d’années, Barry Levinson tourna pour Spielberg un Young Sherlock Holmes, le film fut rebaptisé aux États-Unis Pyramid of Fear, le nom « Holmes » n’étant en rien « vendeur ». Ici, donc, Holmes pourra enfin apparaître comme un American hero, puisque, tel Jack Bauer, il sauve l’Amérique. Peut-être les Américains seront-ils sensibles à cette rhétorique — et il semble déjà qu’ils l’aient été —, mais pour nous, observateurs extérieurs, cet épouvantail d’un impérialisme anglais qui serait tourné vers l’autre côté de l’Atlantique est franchement infantile.
   
En revanche, il y a entre les lignes, et dans le choix de Robert Downey, Jr. comme interprète de Sherlock, quelque chose de quintessentiellement américain et qui se nomme rédemption. C’est sans doute parce que Downey avait fait plusieurs cures de désintoxication qu’on lui a proposé le personnage de Sherlock Holmes, cocaïnomane invétéré, ne l’oublions pas. Non, ne crions pas au scandale si, sur les affiches, c’est Jude Law-Watson qui a des allures de conquérant et si Holmes a un aspect général un peu bohème qui n’est pas sans rappeler celui de Charlie Chaplin (précédemment incarné par le même Downey) : quiconque a lu Conan Doyle sait très bien que Holmes n’est qu’un marginal qui dissimule sa marginalité en se mettant au service de la société et qui est lié par une étroite parenté mentale aux criminels qu’il poursuit.
   
La question centrale du film, en fait, n’est pas vraiment celle de savoir si Holmes viendra à bout du méchant. L’émotion passe par la rivalité de deux revenants : le Méchant de l’histoire, maître incontesté dans l’art de la résurrection, et le comédien Downey, qui, depuis quelques années, semble avoir trouvé dans son métier d’acteur l’antidote, et même le vaccin contre son goût pour la drogue et l’alcool qui lui a valu divers ennuis par le passé. Et, si la résurrection du Méchant n’est qu’une mise en scène, celle de Downey est bien réelle. Il y a même à Hollywood un terme spécial pour désigner ce type de miracle : cela s’appelle comeback.

FAL


Pour la filmographie de Sherlock Holmes, on consultera avec profit le site de la Société Sherlock Holmes de France, qui s'arrête malheureusement en 2003.

SHERLOCK HOLMES
un film de Guy Ritchie
Avec Robert Downey Jr., Jude Law, Mark Strong plus
2h08 
sortie en salle février 2010 $
sortie en DVD mai 2012
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