Rutilius Namatianus, Retour en Gaule

Réédition aux Belles Lettres du poème de Rutilius Namatianus De Reditu (Retour en Gaule). Rutilius n’est ni Virgile ni Ovide et ne saurait être classé ailleurs que parmi les poetae minores, mais peut-être est-il minor parce que c’est Rome elle-même qui, au début du Ve siècle ap. J.-C., commençait à se faire plus petite…

On ne sait pas grand-chose de Rutilius Namatianus, si ce n’est ce que lui-même dit de lui-même dans son poème Retour en Gaule, ce qui nous vaut, dans la récente réédition de la traduction d’icelui aux Belles Lettres, une longue préface qui nous explique qu’on ne sait pas grand-chose de Rutilius Namatianus, si ce n’est ce que lui-même dit de lui-même dans son poème Retour en Gaule.

Cette préface a pour ambition d’inscrire dans un cadre chronologique précis toutes les étapes du voyage qui fait l’objet du poème, mais les éclaircissements qu’elle apporte sont souvent quelque peu « déséquilibrés ». Faut-il vraiment se demander quel jour et à quelle heure Rutilius a eu avec un aubergiste juif cette altercation qui nous vaut un passage qu’on croirait tout droit sorti d’un discours de haut dignitaire nazi ? Certes, une note nous indique que l’antisémitisme abject qui s’y exprime fait écho à un fragment de Sénèque et s’intègre dans une pensée stoïcienne, mais cette érudite référence pourrait s’accompagner de plus amples développements sur le fond même de la question. Ajoutons que la consultation de l’apparat critique relève pour le lecteur moyen d’une épreuve de Fort Boyard, puisqu’il faut constamment faire des allers-retours entre la préface qu’on vient d’évoquer et des notes placées, suivant une tradition absurde, mais bien établie dans les éditions universitaires, en fin de volume. On s’étonne qu’une méthode aussi efficace n’ait pas encore été adoptée au cinéma : à quand les films en Aversion originale avec sous-titres concentrés dans des cartons n’apparaissant qu’après le générique final ?

Le texte de Rutilius, donc, est un road movie avant la lettre, à ceci près que la route est en l’occurrence essentiellement maritime et que le movie, comme on l’a dit, est un poème (soit dit en passant, on pourra regretter l’absence des sept cents vers du texte latin original dans cette édition). Rutilius était un Gaulois qui exerçait à Rome de hautes fonctions au début du Ve siècle de notre ère, mais qui, voyant les campagnes gauloises « défigurées par d’interminables guerres », jugea qu’il était de son devoir d’aller pleurer « sur place les maisons de [ses] aïeux » et d’aider au redressement national. Rutilius n’est pas Du Bellay : celui-ci n’était pas mécontent de quitter les cours hypocrites de l’Italie et son air marin pour retrouver la douceur angevine ; celui-là rentre en Gaule malgré tous les charmes qui l’attachaient à Rome.

Si court qu’il soit, son poème peut sembler assez décousu. Bien sûr, il suit logiquement l’ordre des étapes du voyage et se présente comme un journal, avec d’ailleurs moult passages au présent (étant entendu que ce journal est dans une large mesure reconstitué après coup). Mais se mêlent, au hasard des lieux abordés ou simplement entrevus, descriptions, souvenirs, références mythologiques et réflexions philosophiques, dans lesquelles on pourra trouver des leçons de sagesse ou d’optimisme low cost : « Oh ! que de fois le mal est la source du bien ! une fâcheuse tempête fut cause d’un agréable retard. » L’or, quoi qu’on en dise, est un métal bien plus vil que le fer, puisque le fer est l’outil du travail, l’or celui de la corruption… Quant aux envolées poétiques qui ornent le récit, elles retiendraient un peu plus l’attention de l’amateur de littérature antique si, arrivant plusieurs siècles après Homère, Virgile ou Ovide, elles n’avaient un très fort goût de déjà-lu : les cours d’eau sont « enchaînés par la gelée » ; et, pour dire que le jour se lève, on ne va quand même pas dire que le jour se lève ! Non, « l’aurore aux reflets de safran avait poussé son attelage dans le ciel pur ».

Toutefois, de telles formules ne laissent pas d’être émouvantes si on les considère, non pas comme des essais de création, mais comme des citations. Ce retour en Gaule, c’est aussi le voyage intérieur d’un homme qui, comme le montre entre autres l’hommage respectueux qu’il rend à son père, dresse d’une certaine manière le bilan de son existence et qui ‒ stoïcisme oblige ‒ sent bien que ce périple méditerranéen est un avant-goût de la traversée de l’Achéron qui l’attend. Et ce d’autant plus que les événements sont là pour lui dire que même les civilisations sont mortelles. La destruction de certaines contrées gauloises par les barbares n’est pas seulement dramatique en soi : c’est une catastrophe qui marque le début de la fin d’un Empire. Rome avait su imposer au monde son organisation, totalisante sans être totalitaire ‒ Rutilius n’est d’ailleurs attaché à l’Vrbs que parce qu’elle a su se confondre avec l’Orbs ‒, et un retour en Gaule ne devrait pas être un retour, mais un simple déplacement à l’intérieur de l’Empire romain. Mais, même si certaines régions restent encore épargnées, la fracture se dessine, qui va s’étendre.

Et c’est pourquoi, malgré son esthétique un peu snobinarde, l’habillage bleu nuit que l’éditeur a choisi de donner à ce volume ‒ la couverture est si sombre que qui n’est pas prévenu aura beaucoup de mal à y repérer le titre et le nom de l’auteur ‒ est à l’image de son contenu : les marbres qui hantent les derniers vers du De Reditu ont beau être célébrés comme étant plus éternels que les neiges éternelles, il est difficile de ne pas voir dans leur éternité la paix inquiétante des cimetières.

FAL

Rutilius Namatianus, Retour en Gaule. Texte introduit et traduit par J. Vessereau et F. Préchac. Les Belles Lettres, 2017.

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