Aristocrates à quatre pattes

Comme on peut le lire dans la préface de cet ouvrage qui est plein…d’allure, les artistes dont on admire les œuvres ne sont pas des petits maîtres, loin de là. Leur connaissance approfondie des chevaux vient de ce qu’ils sont aussi cavaliers. Autant dire qu’ils savent restituer dans leur travail de sculpteur les attitudes des animaux qu’ils prennent pour modèles, de l’étalon nerveux à la calme poulinière, du pas au galop. Ils ont monté ces chevaux, sauté avec eux, galopé avec eux, chassé avec eux, ils les ont attelés, entraînés, observés, dessinés, photographiés. Avec eux, pas de ces postures au demeurant fort belles héritées de l’antique ou de l’académie mais qui semblent forcées ou idéalisées. Tout est sincère, réel, vécu.

 

Entre leurs mains, « la matière devenait vivante », note l’auteur qui étant lui-même un cavalier de haut niveau, en plus expert en art, notamment du XIXème siècle, sait comment juger ces pièces et en vérifier la justesse, mieux dit encore les aplombs.

 

Ce qui attire en effet le regard, quelque soit la pose adoptée, l’environnement choisi, ou encore la taille de la sculpture, les patines, c’est cette impression d’authenticité dans le rendu de l’instant où le cheval trotte, s’élance pour franchir l’obstacle, broute, se pointe, jusqu’à l’âne ruant et se cabrant - car l’humble baudet est aussi invité à cette exposition des « aristocrates à quatre pattes ».


L’exactitude est si grande que l’on croit entendre au fil des pages des bruits de sabots, des hennissements et des aboiements, des commandements, des appels dans la forêt, des maillets de joueurs de polo qui frappent la balle, peut-être même le bruit plus discret mais caractéristique du piqueux bouchonnant son cheval ! Une fidélité qui n’est pas copie pure, seulement sècheresse de la régularité absolue qui, afin d’être précise, elle en perdrait son intérêt et sa vitalité. La vie circule partout, s’anime dans le pur-sang, frémit dans le cheval cob, réchauffe la jument et son poulain, fortifie le cheval de fiacre et solidifie le gros trait belge.

 

Quelques grands noms ont donné à la sculpture animalière sa renommée, un style inégalé, à la fois puissant, réaliste, souvent stylisé, comme François Pompon, Antoine-Louis Barye, Rembrandt Bugatti. Ici les noms sont sans doute moins célèbres, ils sont sûrement plus proches de la vérité qu’ils veulent saisir. Le plus étonnant est qu’en fixant dans le bronze ce bref moment de l’action, leur talent en transmet l’énergie, le mouvement déployé et la dynamique. Ainsi de ce Dragon sous la pluie, de Jacques Froment-Meurice, de L’Amazone du prince Paul Troubetzkoy, de ce Valet d’écurie et chevaux à l’entraînement exécuté par Georges Malissard, de ce Cheval qui tire au renard signé par André Guiet.       

 

L’auteur a puisé dans une revue qui a été à son époque réputée pour sa qualité, ses sources d’information, ses publicités : « Le sport universel illustré ». Il a aussi rencontré les familles qui gardent ces trésors, il a fouillé leurs archives, il a parlé avec des héritiers. Une biographie de chacun de ces dix sept artistes qui sont par son patient labeur mis enfin en lumière, annonce leurs oeuvres. Le champ d’ailleurs n’est pas clos. D’autres sculpteurs qui ont été cavaliers mériteraient d’avoir eux-aussi les honneurs. Il reste certainement des merveilles à découvrir.

 

Pour ceux qui aiment l’équitation, la vénerie, les courses, les compétitions équestres, en clair le cheval dans sa noblesse et ses faiblesses et qui y ajoutent le goût de la sculpture animalière, ce livre est à la croisée des chemins où ces plaisirs sont offerts. Pour reprendre les mots de conclusion d’un autre fervent, le regard du lecteur n’est pas « un simple exercice visuel. C’est un faisceau relationnel où s’opère un échange de sensations et d’émotions entre le créateur-cavalier et le spectateur-cavalier à travers l’écran du métal patiné, dans l’épaisseur du temps ». 

 

Dominique Vergnon

 

Guy de Labretoigne, A nos chevaux et à ceux qui les sculptent, Art-Select, 23,5x29,5 cm, 207 pages, nombreuses illustrations, mars 2014, 50 euros.  

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