Un double rayonnement français

« Le dictionnaire ne sert pas qu’à vérifier les fautes d’orthographe. C’est aussi et surtout une fenêtre ouverte sur la manière de penser d’une époque ». Cette phrase est révélatrice, elle ne vient pas d’un inconnu ! Elle est dite par celui dont le nom est lié justement à un dictionnaire célèbre, un linguiste réputé, qui regarde et analyse l’évolution de notre société à travers son signe le plus évident, le plus  commun à tous, le plus nécessaire à chacun, le signe qui en traduit le parcours, les errements, les progrès, ce qui la nourrit et la défend face à une globalisation de la pensée, le mot. Il s’agit bien sûr d’Alain Rey, qui est la « figure incontournable du Petit et du Grand Robert, maître d’œuvre du Dictionnaire historique de la langue française ». Le nom de départ est celui d’un autre remarquable lexicographe, Paul Robert (1910-1980), qui créa une maison d’édition et s’entoura de collaborateurs compétents. L’ouvrage était lancé.    

 

Ce qu’on nomme le patrimoine écrit, il en est la pierre angulaire, un des promoteurs reconnus, un des gardiens attentifs au demeurant assez ouvert pour que cet édifice qui étaye toute réflexion ne soit pas figé et se ruine par défaut de nouvelles pierres. Ce temple du savoir est donc le Robert, fruit d’une belle aventure commencée en 1951. Celui que l’on surnomme parfois le « Mini-Bob » ou encore « le P’tit Robert » séduit le monde des écrivains et des érudits comme celui des élèves de lycée. Les Académiciens l’accueillent en tant que  composante essentielle de notre culture. Les pays francophones l’adoptent. Le succès ne se démentira plus. Pas une bibliothèque qui ne le possède sur un de ses rayons. « Il y a intérêt à l'avoir tout de suite. C'est prendre trop de risques que de vivre sans lui » signale Le Nouvel Observateur 5 avril 1967. Dans un autre article, on peut lire encore : « Pour la première fois, un dictionnaire de la langue française n'a pas soixante ou cent ans de retard sur la vraie langue française vivante. C'est prodigieux. C'est une révolution. C'est une libération ». Attention, les autres « dico » dont les noms appartiennent aussi à notre trésor national sont là, magnifiques, tout aussi savants et attirants pour les grands esprits et les petits cerveaux ! Un dictionnaire est toujours un instrument qu’il faut avoir à portée de main pour bien se remplir la tête.

 

Cet acteur majeur de notre histoire s’est associé à une autre institution d’excellence, la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur. Deux reflets éminents de la vie française. A eux d’eux, ils produisent un magnifique monument qui honore en marge des mots à notre service les grands serviteurs de la nation, militaires et artistes, politiciens et responsables d’entreprises, sportifs et bienfaitrices, compagnons du devoir et couturières de génie, indifféremment puisque le critère est la valeur de soi et de son travail, le risque de réussir, l’invention qui bénéficie à la communauté. Au hasard, au cours des âges, Champollion, Balzac, Haussmann, Rosa Bonheur, Saint-Exupéry, André Citroën, Jeanne Lanvin, Paul Bocuse, Michèle Morgan, Alain Mimoun reçoivent ce signe de prestige. A côté d’eux, tant d’autres qui ont reçu cette distinction unique, enviée, méritée, gagnée pour des faits que la patrie reconnaît et salue.

 

Un million de français et de françaises ont été ainsi décorés depuis 200 ans. Napoléon institue la Légion d’Honneur 19 mai 1802, afin de « récompenser les mérites éminents militaires ou civils rendus à la Nation ». Le lithographe Charles Motte produit une œuvre éloquente à partir du dessin original de Victor-Jean Adam (1801-1886) montrant comment fut distribuée la première médaille au camp de Boulogne, le 16 août 1804. La devise se mémorise aisément. « Honneur et Patrie ». Les grades sont une manière de hiérarchie, certes. Mais le petit bout de ruban rouge ou la rosette suffisent déjà à témoigner d’une gratitude légitime. Tout est défini - conditions, modalités, attributions - afin de garantir la valeur de l’insigne et d’en pérenniser l’usage.

 

Après les pages de présentation de l’Ordre, celles de la publicité de partenaires qui apportent leur contribution à cette édition spéciale, s’ouvre et s’enchaîne sur 2837 pages le Robert classique, celui que l’on apprécie d’avoir chez soi pour une lecture quotidienne. Les signes ainsi se retrouvent. Cette fois, avec un autre volet de notre passé pour l’introduire. Le volume est livré dans un coffret gris. Sur la couverture, le Grand collier et ses 16 médaillons de 1953. Un double rayonnement.

 

Dominique Vergnon

 

Alice Bouteille, Patrice Grelet, Laurence Wodey, Le Robert décoré de la Légion d’honneur, 19x29 cm, 82 illustrations couleurs, Publications officielles-Mondial Média, 70 euros.

 

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