Les splendeurs médiévales du Maroc

Les rivages de la Méditerranée sont uniques. Plus que partout ailleurs dans le monde, au long de leurs parcours que la mémoire conserve assez pour les redessiner mentalement, la géographie y accueille l’histoire. Mieux qu’on ne saurait le penser, celle-ci épouse en permanence celle-là. Elles s’expliquent et se façonnent l’une l’autre. En suivant les découpes familières et inchangées de promontoires et de baies, les siècles y ont naturellement éclos et les ont fleuris de cités prospères, de monuments insignes, de champs pour nourrir les peuples, de temples pour adorer, d’ateliers pour produire. Tout autour de cet espace où elles interfèrent, rivalisent et se croisent, les différentes civilisations résonnent de manière particulière, selon les peuples qui les ont construites, chacun en fonction de ce qui l’enracine et l’inspire. Le Mare nostrum s’étend à leur dimension, c’est l’étendue commune autant que convoitée. En marge des conquêtes politiques qu’ils appuient, les échanges commerciaux relient l’empire almohade à Pise et Gênes. De même les « itinéraires spirituels » qui irriguent ces terres allient Cordoue à Marrakech.   

 

 

Fernand Braudel parlait d’un modèle italien. Il aurait sans doute pu traiter du modèle marocain. Les dynasties qui se succédèrent sur le sol du royaume chérifien ont la puissance et la fertilité de celles qui se suivirent et se remplacèrent de l’autre côté de la mer. Les richesses sont diverses et se partagent, les différences sont des avantages, la rupture naturelle entre les deux continents semble un accident dans ces parentés séculaires et inattendues. A Volubilis, on pourrait être dans le Péloponnèse ou en Sicile. Les délicatesses de la graphie coufique visibles sur un parchemin de la fin du XIIème siècle contenant la recension du Muwatta’ de Malik évoquent les splendeurs d’une page d’antiphonaire conservée dans une abbaye bénédictine, les harmonies des coupoles des muqarnas renvoient aux élans des voutes des cathédrales, les frises murales que l’on peut voir dans une madrasa à Fès séduisent autant que les fresques qui courent sur les parois de certaines églises. L’orfèvrerie, la céramique, le travail du bronze offrent des élégances de formes également inouïes qu’il est passionnant de rapprocher, en évitant de les comparer, aux pièces qui ont fait l’objet au-delà du détroit d’un identique soin de la part des artisans. Partout, l’art déploie ses fastes sous les yeux de qui sait admirer, toujours il devient fabuleux pour qui est curieux. Chaque fois, cet élément essentiel au plaisir de vivre et fondateur de la culture se renouvelle, surprend, attire.

 

 

Sur ce sol africain, la présence de l’homme remonterait à quelques 700 ou 800 000 ans. Depuis sa trace s’est inscrite régulièrement dans tous les domaines. De l’architecture à l’écriture en passant par l’enluminure, les témoignages qui constituent un héritage exceptionnel manifestent le haut degré des savoirs locaux. C’est au Moyen-Age que leur expansion, pour ne pas dire leur explosion, est la plus évidente et partant, elle s’identifie à l’apogée de cet Occident islamique qu’étudie en détails cet ouvrage en tous points remarquable. Une mise en perspective de certains évènements entre eux permet d’entreprendre cette passionnante lecture, certes érudite mais qui grâce aux illustrations, cartes et plans, n’est en rien lassante ni impénétrable. Quand s’achève la construction de la Sainte Chapelle en 1248, la grande mosquée de Séville et de son célèbre minaret, la Giralda, sont construits depuis une cinquantaine d’années. Presqu’au même moment en 1250, débute le sultanat mamelouk en Egypte et en Syrie. Le départ est donné. Les liens décisifs avec l’Espagne, premier territoire à être « au contact », sont clairement expliqués et illustrés, comme le montre notamment le chapitre consacré aux relations entre l’empire almoravide et sa conquête du royaume de Castille-Leon.  

 

 

Parmi tant d’intéressantes découvertes, on lit avec un grand intérêt l’épopée culturelle de Fès, cette ville fondatrice marocaine à la fois en termes géographiques, en raison de sa position entre le Moyen Atlas et la Méditerranée, et historiques, car elle s’impose « à cette époque comme un intense foyer intellectuel, spirituel et artistique ». Les chroniques relatent comment s’est édifiée la chatoyante cité.

 

 

Autre remontée dans le temps, avec une place significative donnée à l’esthétique et aux conventions sociales sous le règne des Almohades, les pages abordant l’art des mosquées mettent en lumière l’ensemble des aspects religieux, jusqu'à l’importance de l’eau lors des ablutions. Il s’agit d’une invitation à mieux comprendre leur rôle majeur dans la piété quotidienne. Les  vasques en forme d’étoile et les jarres en céramique glaçurée prouvent combien le soin apporté aux objets de culte était grand.

 

Ce volume est une pièce de poids dans la connaissance et le dialogue entre les rives méditerranéennes. Il trouve d’office sa justification dans une bibliothèque et sert brillamment de guide à la magnifique exposition qui se tient actuellement au Louvre. 

 

 

Dominique Vergnon

 

 

Claire Déléry, Bulle Tuil-Leonetti, Yannick Lintz, Le Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne, Hazan - les éditions du musée du Louvre, 24,5x28,5 cm, 616 pages, 350 illustrations, 49 euros.   

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.