L’impressionnisme, les critiques d’hier

Si apprécié maintenant, considéré comme un mouvement majeur dans l’histoire de l’art, célébré universellement, sans cesse valorisé, l’impressionnisme n’a pas toujours eu bonne presse, loin s’en faut. Les articles et les chroniques rassemblés dans ce livre en apportent la preuve que les caricatures parues en particulier dans Le Charivari souvent féroces renforcent, entre autres celles de Cham, pseudonyme d’Amédée de Noé (1818 – 1879).
Couvrant la période allant de 1874 à 1896, la petite vingtaine de textes signés par des noms alors réputés met en évidence le rejet quasi unanime que ce nouveau style pictural suscita à l’époque. Le Salon organisé au 35 boulevard des Capucines à Paris réunissant 165 œuvres causa plus qu’une polémique, un scandale. Les mots ne furent jamais assez durs, les querelles jamais assez vives, les comparaisons jamais assez osées. Mais où étaient passés Raphaël, Michel-Ange, Velázquez, Ingres, face à Sisley, Berthe Morisot, Pissarro, Degas, Renoir, ce dernier peut-être un peu moins conspué que d’autres ?
Taches, badigeonnages, barbouillages, mystification, vanités, débauches de couleurs, guerre à la beauté, démence, parti pris dans l’horrible et l’exécrable, le tableau de Monet de 1874 Impression, soleil levant, tout tendu de rouge et de bleu déclencha une bourrasque de mots. Sauf rares exceptions évoquant la liberté et l’aisance de la facture, les critiques ne pouvaient concevoir que ce même Monet allait lancer en réalité une révolution esthétique comme jamais auparavant. Même Émile Zola, au demeurant ouvert à la nouveauté et qui n’avait pas manqué dès 1864 d’être séduit par cette rupture encore naissante, de surcroît défenseur de Manet, avouait dans un article paru le 2 mai 1896 reculer d’effroi devant ces toiles qui lui font horreur, ces tableaux exsangues
Pour Léon Tolstoï, sur ces peintures impressionnistes on peut voir des contours de vagues êtres humains tenant quelque fleur à la main. C’est monotone, dépourvu de dessin, tout est mélangé, ou alors désigné d’un large trait noir. Henry James, alors à Paris en tant que correspondant du New York Tribune, estime que ces peintres sont ennemis absolus de l’arrangement, de l’embellissement, de la sélection, de l’intervention de l’artiste comme il le faisait jusqu’ici depuis les débuts de l’art, en créant, d’abord préoccupé par l’idée du beau.
À la lecture de ces articles judicieusement choisis, il est intéressant de mesurer combien, sous l’influence sinon la pression des opinions, le déroulement du temps modifia les regards et révisa les jugements. Voués à être oubliés selon ces auteurs, les artistes de l’avant-garde sont devenus des maîtres vénérés et admirés au-delà de tout ce qu’ils pouvaient imaginer. Mais par un imprévisible retournement des choses, la plupart des noms des journalistes d’alors, tels Émile Cardon, Albert Wolff, Louis Enault, Georges Maillard, ne sont plus dans les mémoires.  
Ces pages publiées à l’occasion de la prochaine exposition qui se tiendra au musée d’Orsay (jusqu’au 14 juillet) renvoyant directement à celle de 1874, permettra de revoir et comprendre ce que fut l’incroyable départ de l’aventure impressionniste. Le lecteur comme le visiteur est ainsi à même d’en relire et retracer les évolutions.

Dominique Vergnon

Anthologie critique, Contre l’impressionnisme, 130x200 mm, 96 illustrations, Les éditions de Paris-Max Chaleil, mars 2024, 95 p.-, 16€

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