Sade, du château à la prison

Plus de quatre cents ans de titres de noblesse derrière lui, des prévôts, des députés, des militaires et des chanoines parmi ses ancêtres, Donatien Alphonse François de Sade appartient à une lignée qui compte des noms illustres. Nature et fortune se sont penchées sur son enfance et l’ont comblé de leurs dons, il le reconnaît. Mais, il l’avoue lui-même, son enfance dans un palais où de « dangereux principes qu’on laissait germer » en lui dévient son esprit le marque à jamais d’une double blessure de feu et de fer. Tout jeune il découvre la terre de Provence, à laquelle il ne cessera de s’attacher. Le Lubéron devient un ancrage au milieu de ses folies. Dans les nobles demeures où il séjourne, les femmes qui l’entourent sont séduites par son charme, dont il mesure vite le pouvoir. Univers de tentations extrêmes où se croisent châtelaines et prostituées. S’il découvre les premiers jeux de la débauche chez un oncle abbé, terrible initiation, il est loin de n’être qu’un homme de luxure qui fait de « l’alcôve le centre du monde ». Il se comporte aussi en soldat valeureux pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763) et les six campagnes d’Allemagne au point d’être promu capitaine de cavalerie. Le sang parle en lui et l’agite. De même qu’il s’est battu avec l’épée contre l’ennemi, c’est avec la plume qu’il va défendre ses passions contre la morale du temps. Le même panache en somme, qui s’inverse. Dénoncer l’hypocrisie n’absout pas la cruauté. Des résidences fastueuses - l’hôtel de Condé, le château de Saumane, le château de Lacoste - à la cellule n°6 dans le donjon de Vincennes et l’asile d’aliénés de Charenton, des comtesses aux pauvresses, de la plainte à la punition, de l’enfermement physique à l’internement psychique, cet ouvrage est d’abord le récit du parcours contradictoire du marquis. Pour le reste, on connaît quelle est sa descente dans les cercles de plus en plus oppresseurs du vice.

 

Plus que la reprise de ses fantasmes d’enfer et la relecture de ses écrits transgressifs qui ont été faites et refaites depuis une cinquantaine d’années, ces pages, entre lesquelles s’intercalent judicieusement des fac-similés de textes de la main de Sade, d’actes divers comme un « certificat de bonnes mœurs délivré par la ville de Clichy le 14 Thermidor de l’an VII » ou celui de son mariage, retracent l’itinéraire de Sade en donnant des jalons historiques et géographiques très éclairants, en mettant en rapports les lieux où il est passé et les liens qu’il a noués avec eux. On lit avec intérêt la partie consacrée au domaine de Lacoste, vieux fief du IXème siècle dressé sur un rocher escarpé, passé chez les Sade au début du XVIIIème, où Donatien fait construire un théâtre. Pillé, restauré, le château est aujourd’hui la propriété de Pierre Cardin.

 

Si ses relations personnelles lui valent d’échapper à la peine capitale, il ne pourra cependant pas éviter les plus dures privations de liberté, notamment à Vincennes, dans un cachot « infesté de rats et de vermine ». Prévention méprisable envers celui qui se dépeint comme « le plus honnête, le plus franc et le plus délicat des hommes » ? Action de justice prise à l’encontre de l’autre lui-même qui, lucidement, se dit « impérieux, colère, emporté…d’un dérèglement d’imagination sur les mœurs qui, de la vie, n’a eu son pareil » ? Paradoxe impossible à résoudre. Sade, seul acteur et unique ordonnateur de son existence, première proie de ses dérèglements, bravant les interdits pour en créer d’autres, continue à déranger et à séduire. Pour résumer le portrait qu’il signe, il ajoute : «…tuez-moi ou prenez-moi comme cela, car je ne changerai pas ».

 

Débats, prises de positions pour ou contre, apologie et condamnation, blâme et plaidoyer, justification forcée ou préjugés faits d’ignorance, arguments fondés et thèses hâtives, tout et son contraire est avancé au sujet de Sade. Jean-Pascal Hesse sans en méconnaître les plus sombres ombres, dégage en particulier l’apport littéraire de ses écrits. Une pièce de plus est versée à ce dossier qui n’est pas prêt d’être fermé.

 

Dominique Vergnon

 

Jean-Pascal Hesse, L’Amant des Lumières, Assouline, 192 pages, 23x30 cm, 150 photographies, relié, mai 2014, 65 euros. 

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