Fast and Furious 7 : au-delà des grosses cylindrées

Past and Curious

 

« This time, it ain't just about being fast », déclare sentencieusement Vin Diesel au milieu de Fast and Furious 7. Il dit vrai. Les stars de F&F7 ne sont pas les voitures. En tout cas, pas seulement. (Sortie du Blu-ray et du dvd le 4 août.)

 

A priori, un film où l’on passe l’essentiel de son temps à jouer à « voiture-vole » et où l’on n’a, en plus, aucun respect pour le matériel — puisque la quasi-totalité des bolides qui conditionnent l’action finissent à la casse. Voilà qui devrait susciter en nous une indifférence totale, pour ne pas dire un souverain mépris.


Mais on ne saurait balayer d’un revers de main Fast and Furious 7. Peut-on faire fi d’un film qui, en l’espace de quelques semaines, s’est classé dans le peloton des cinq plus grands succès de toute l’histoire du cinéma et qui, qu’on le veuille ou non, fait partie d’une série née il y a déjà une quinzaine d’années et qui ne connaîtrait pas une telle longévité (le 8 est déjà sur les rails…) si elle n’avait su, nonobstant quelques cahots sur sa route, se construire. L’augmentation vertigineuse des budgets —  ce numéro 7 aurait coûté 240 millions de dollars, soit près de dix fois plus que le premier épisode — et la mort du comédien Paul Walker pendant le tournage ne sauraient suffire à expliquer le triomphe international de ce blockbuster.


Profitons de l’occasion pour rappeler l’origine de ce terme, sur lequel on fait assez naturellement un contresens. Comme les blockbusters récents sont peuplés de méchants et de super-héros dont les affrontements ont pour effet de faire voler en éclat des villes entières, on imagine spontanément que ces « exploseurs de blocs » se nomment ainsi à cause de ce qu’ils nous présentent sur l’écran. Mais ce mot blockbuster remonte aux années trente et vient en fait du théâtre : le block qu’il évoque n’était autre à l’origine que le quartier de Broadway qui regroupe l’essentiel des théâtres new-yorkais. Était donc qualifiée de blockbuster la pièce qui, remportant un succès nonpareil dans un théâtre précis, signait la mort des pièces représentées dans tous les théâtres du même pâté de maisons (block, en anglais américain). Le blockbuster n’est donc pas nécessairement « spectaculaire », même si, encore une fois, on tend souvent à confondre la cause et l’effet.


Bien évidemment, Fast and Furious 7 est spectaculaire, invraisemblablement spectaculaire [1], et une grande partie de la fascination qu’il peut exercer sur les foules tient à ses poursuites automobiles, à ses cascades diverses et variées, à ses explosions en tout genre. Mais il convient de souligner qu’il y a ici une véritable mise en scène, qui ne se contente pas, comme tant d’autres, de noyer tout dans le grand torrent du mouvement et de dissimuler ses approximations par la vertu (?) d’un montage hystériquement cut. Alors même que nous devons suivre les évolutions d’une bonne demi-douzaine de super-héros et des méchants qui les croisent, nous savons toujours qui est qui, qui fait quoi et qui conduit quelle voiture. La rigueur de cette mise en scène est d’autant plus à saluer que la filmographie du réalisateur, James Wan, n’était jusque-là pas particulièrement reluisante, puisqu’elle inclut Death Sentence et Saw — deux titres suffisamment parlants pour ceux qui n’auraient pas vu les films en question.


Mais cette clarté de la mise en scène n’existerait pas s’il n’y avait au départ la rigueur d’un scénario. Veuillez ne pas ricaner dans les rangs du fond. Fast and Furious 7, ce n’est ni Hamlet, ni le Cid, et  — faut-il le préciser ? — si nous devions revoir un film récent, c’est le Labyrinthe du silence ou la Femme au tableau que nous choisirions en priorité. Il n’empêche que, comme ces deux films, Fast and Furious 7 pose la question de l’Histoire, ou — mais cela revient au même  celle de la mémoire.


L’originalité en tout cas pour un film américain  de ce septième volet est que la joyeuse bande de Diesel et Walker doit faire face, non pas à un, mais à deux héros. Le premier n’est autre que Mr. Google. Évidemment, il ne s’appelle pas ainsi dans le film, mais il détient God’s Eye, une technologie qui lui permet de pénétrer instantanément dans tous les systèmes informatiques du monde. Une telle idée eût fait rire il y a encore vingt ans — dans un scénario, ce n’aurait été qu’un mcguffin —, elle est beaucoup moins drôle aujourd’hui, quand nous savons comment Google ratisse le moindre centimètre carré de la planète, se croit investi d’une mission et se fait fort de prédire bientôt l’avenir grâce à l’accumulation de ses données (Minority Report, nous voici !). Le second méchant, qui fait le lien avec les précédents épisodes de la série, est incarné par Jason Statham. Ce n’est sans doute pas pour rien qu’on a choisi cet acteur d’ordinaire spécialisé dans les rôles de good guy : tous les actes qu’il commet ici sont particulièrement répréhensibles, mais il les commet parce qu’il entend venger la (presque-) mort de son frère, au nom de l’attachement à la famille, ce qui d’une certaine manière l’apparente aux membres du clan Diesel, qui ne cessent de répéter le mot family de façon quasi-incantatoire. Résumons : il y a donc un méchant qui possède l’instrument de la mémoire absolue (la totalité des ordinateurs de la planète) et qui représente donc un danger qu’il n’est pas besoin de souligner, et un autre méchant qui fonde sa conduite sur le souvenir d’un événement personnel, et par conséquent un peu moins coupable. En face, dans la sacro-sainte famille, il y a Letty, frappée, elle, d’amnésie et qui, même si elle se porte bien, ne peut supporter d’avoir tout un pan de sa vie effacé de son esprit.


La vérité n’est évidemment pas dans l’Œil de Dieu, alias Google, nouvelle version de Big Brother, mais dans une espèce de compromis entre la mémoire obtuse et déraisonnable du second méchant et l’amnésie sans nuance de Letty. Se pose ici la question de la constitution même d’une société, qui, comme l’explique lumineusement Bergson dans le Rire, ne peut exister que par le maintien constant d’un délicat équilibre entre rigidité et souplesse. Le flic de Fast and Furious, incarné par Dwayne Johnson, est là pour faire appliquer la loi, mais il doit savoir aussi « passer l’éponge » quand les circonstances l’exigent.


Malgré son titre, son bruit et sa fureur, Fast and Furious 7 n’est pas loin de défendre une morale du juste milieu et propose une amorce de réflexion sur la manière dont nous pouvons et devons construire l’avenir à partir du passé sans pour autant être esclaves de celui-ci.

 

FAL

 

Fast and Furious 7

Réalisé par James Wan

Avec Vin Diesel, Paul Walker, Michelle Rodriguez, Jason Statham, Dwayne Johnson, Jordana Brewster.

Universal Pictures Video.

 

 

 

[1] Voir sur Internet le très drôle dessin animé d’une minute trente sur le thème « Ce qui arriverait si les cascades de Fast and Furious 7 étaient réalistes » : 

www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18644609.html

           

             

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