Le pastel, unir la couleur au dessin

Avec ses deux syllabes douces, le mot fait bien sûr penser à Baudelaire : « Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées, / Où gît tout un fouillis de modes surannées, / Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher / Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché »…


Mais n’oublions pas que dans la composition entre une « charge » qui lie les pigments et leur donne cette force contenue. Les pastels peuvent être plaintifs pour les poètes, ils seraient pour les artistes plutôt explosifs. La charge devient davantage émotionnelle ! On se risquerait à reprendre ce que disait un pastelliste, « ce bâtonnet est de la dynamite ». Sous la fragilité, la solidité. Celle du talent de Chardin, Degas, Mary Cassatt, Maurice Quentin de La Tour, le « prince des pastellistes ». Pas de meilleure synthèse pour comprendre les attraits de ce médium que celle de José-Maria de Heredia : le pastel est le « mariage de la couleur et du dessin ».

 

Cette union unique séduit depuis le XVIe siècle les artistes. Léonard de Vinci, Jacopo Bassano, Jean Clouet, Simon Vouet savent combien la matière friable permet de donner à leurs dessins ces dégradés délicats qui les illuminent et servent à accroître la plasticité des contours. Il faut attendre la fin du XVIIème s. pour que la peinture au pastel s’impose davantage. Parmi les artistes de son époque, Rosalba Carriera se distingue par la grâce visuelle de ses portraits et ce « jeu des apparences » qui remporte les suffrages des amateurs. D’autres femmes seront célèbres, comme Elisabeth Louise Vigée-Lebrun, reçue à l’Académie en 1783, grande voyageuse, introduite à la cour. Moins connu que Quentin de La Tour dont il fait un portrait saisissant de finesse psychologique, Jean-Baptiste Perronneau (1715-1783) se révèle un remarquable pastelliste et « suit les traces de fort près » de La Tour et la critique estime qu’il « doit prendre un jour de ses mains le sceptre du pastel ».

 

En Angleterre, au XVIIIe siècle, le pastel conquiert lui aussi ses champs de noblesse. Membre de la Royal Academy à Londres, autre « prince des pastellistes », John Russell  s’affirme par le maniement des pastels. Les portraits de Mary Wood (1794) et de Mrs Shea montrent comment il parvient à conjuguer tous les éléments à sa portée afin de donner aux visages leur  carnation délicate, aux yeux acuité et nostalgie, aux lèvres leur fraîcheur. Son traité publié en 1772 Elements of paintings with crayons remporta un vif succès. Par l’ensemble unique des qualités techniques qu’il détient, le pastel fait comprendre cette société du XVIIIème siècle au point que l’on pouvait lire dans la revue L’Artiste, en 1841 : « Au temps où régnait en France, avec Mmes de Pompadour et Dubarry, la manie des houlettes et des prétentions pastorales, le pastel fut un art tout à fait en faveur….Puis vint la sombre tragédie de 93 ; toute cette voluptueuse société disparut et le pastel avec elle».

 

Heureusement, nouvelle étape, nouvel essor, rivalité de l’aquarelle, concurrence de l’huile,  le pastel doit lutter pour garder sa place. Il triomphe avec ces auteurs de féeries où tout éclate, vibre, se fond en nuances harmonieuses, s’affirme en transparences, traits rapides ou notes appuyées. De Delacroix à Léon Riesener, le pastel sert la passion romantique et « distille un délicieux parfum ». Le XIXe réunit autour de Monet et Boudin les maîtres de l’instant où le paysage change et avance en suites de tonalités sublimes. Le pastel raconte avec Pissarro les boulevards parisiens, la campagne avec Millet, les dialogues amoureux avec Renoir, la danse avec Degas qui fait éclore les plus belles audaces, la « vérité contemporaine et le plus intime sentiment de la vie » avec Manet. On peut attribuer en les adaptant aux goûts et aux méthodes de chacun les mots de Paul Alexis au sujet du talent de pastelliste de Manet, simplicité, justesse et élégance. On atteint l’universel.

 

Un des grands plaisirs de cette traversée de l’épopée du pastel est la lecture des pages consacrées à ces artistes qui ont beaucoup pratiqué le pastel, le plus souvent avec un savoir des plus aboutis de ses ressources et des latitudes d’expression qu’il permet. Mais il ne faut pas oublier ces autres experts, Whistler dont on peut admirer les vues de Venise et Redon dont les feuilles sont « des tremplins pour les rêves ». On découvre aussi les œuvres pleines de symboles de Fernand Khnopff, Lucien Lévy-Durmer ou Jean-François Auburtin. Enfin à ne pas manquer les embrasements de Chéret, La Corrida de Picasso et Le Cri de Munch, un pastel de 1895 où tout effare et les couleurs se font stridences. Très appréciable pour comprendre le matériau, le texte qui clôt cet ouvrage d’art et d’histoire impeccablement illustré apporte les renseignements que l’on souhaite avoir.   

 


Dominique Vergnon


Dorothea Burns, Philippe Saunier, L’Art du pastel, Citadelles et Mazenod, 384 pages, coffret, 250 illustrations couleur, 24,5x 31 cm, septembre 2014, 189 euros.     

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