André Blanchard, Le reste sans changement : La vraie vie c’est la littérature

Tel qu’en lui-même l’éternité le change, écrivait Mallarmé dans son Testament d’Edgar Poe. Est-ce que mourir change un écrivain ou l’éternise ? La question nous tombe du ciel après la lecture du dernier volume d’André Blanchard au Dilettante. Oui, il faut se faire à l’idée : pour l’état civil, André Blanchard est mort le 29 septembre 2014. Le Reste sans changement – titre plein d’ironie caressante – donne le bon-à-tirer d’une œuvre exceptionnelle, que nous sommes une poignée d’happy few à savourer. Tout au long de ces pages, comme à son habitude, le diariste distribue baffes et lauriers aux acteurs de notre comédie sociale. L’Education nationale en prend pour son grade, en tête l’inénarrable Meirieu – instituteur de cette école où l’on fait dans l’animation culturelle au lieu d’apprendre à écrire et à lire correctement. Oui, l’école est inégalitaire. Ce n’est pas très drôle, mais c’est comme ça, semble penser Blanchard, qui a consacré le meilleur de son existence à lire les ouvrages que le programme officiel a oubliés depuis longtemps. Proust et son Temps retrouvé reviennent comme un leitmotiv en cette fin de vie où l’auteur constate : Quand on lit Proust, on est soustrait du monde, on est absent, ravi de l’être ; rien ne nous semble plus irréfutable que son credo, énoncé un jour où, mal luné sans doute, il fit court : « La vraie vie c’est la littérature. »

 

Faut-il écrire ou vivre ? se demande Blanchard constatant, soixantaine entamée, que Rester en vie c’est faire du zèle. On sent le lecteur curieux flairant ces valeurs sûres qui vous ringardisent (Flaubert, Barrès, Mauriac, Cabanis…), désirant au fond de lui-même que ses recueils soient son testament. Deux mille lecteurs flairent avec lui les bons livres parmi la benne déversée des six cents nouveaux romans de la rentrée : Le meilleur est au-dessous, écrit-il goguenard. Blanchard n’est jamais du côté des aboyeurs, regrettant les pompes de l’Eglise – Seule l’esthétique élève – tandis que le pape François lave les pieds des prisonniers. On lit et partage la plupart de ses approbations : Richard Millet, le plus grand écrivain français vivant, sur lequel cette nunuche et calamiteuse Annie Ernaux tire à boulets de papier quand le premier vitupère l’époque avec ardeur. Les grandes têtes molles (l’expression est d’Isidore Ducasse, alias Maldoror) prennent les coups qu’elles méritent : Alain Minc, BHL, Jean-Paul Enthoven, Marguerite Duras, Alain Souchon, Philippe Claudel et jusqu’à ce pauvre Charles Juliet, taxé de phraseur et paraphraseur. C’est à qui plastronnera le plus, se gargarisant d’approximations en tout genre, suggère le discret Blanchard, ennemi des séances de signatures et autres kermesses du gros public. Fabrice Lucchini lisant L’Invitation au voyage : C’est vite insupportable. […] Bref, il surjoue, il outre. Cela revient à illustrer ce qui, par essence, se passe de l’être, voire l’interdit. 

 

Ne pas surjouer, voilà le secret des écrivains du second rayon, diaristes discrets, gueulards enjoués et autres bougons de toutes époques, que Blanchard révère par-dessus tout (Calaferte, Bloy, Léautaud…). Blanchard a fait œuvre. La mort ne lui sera sans doute d’aucun secours pour tenir sa place. Quelques lecteurs, mais peu importe. Les injustices, erreurs de jugements vont bon train depuis la nuit des temps. D’Ormesson en Pléiade ! C’est Bernard Frank, qui en eût avalé de travers son pétrus, note Blanchard avant de refermer son dernier carnet.

 

L’écrivain note ici en passant : Etre à ce qu’on fait. Lecteur des chemins buissonniers, auteur minutieux et patient à l’heure des autoroutes de l’information, Blanchard aura fait, tout comme Bernard Frank, justement, et quelques dilettantes – ceux qui se fient à leur seul jugement – une œuvre en parlant de celles des autres. Un doute le tenaille, tout comme les pinces du crabe qui finit par l’emporter : Est-ce que parler de littérature, ça en est ? – Joker !

Mettons que oui !

 

Frédéric Chef

 

André Blanchard, Le Reste sans changement, carnets 2012-2014, Le Dilettante, novembre 2015, 192 pages, 18 €

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