Ils s'aiment : le courage de l'amour

Dans les regards de ces 350 couples, s’exprime tout l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, ainsi que le courage inouï qu’il leur fallut pour exprimer leurs liaisons devant l’objectif d’un photographe. Entre 1850 et 1950, où furent pris ces clichés, l’homosexualité était hors la loi, toujours réprimée, parfois punie de mort. Aucun d’entre eux ne l’ignorait.

Ces amoureux déterminés sont de tous âges, de toutes conditions : soldats, marins, cow-boys, employés de bureau, étudiants, jeunes gens de bonne famille. Ils posent dans une piscine, sur un vélo,  devant une voiture, en uniforme, dans des draps, dans un décor de carton-pâte symbolisant la lune de miel qui leur est refusée, dans des salles de danse clandestines. Ils sont en général chastes comme le sont des amis, à part certains qui s’embrassent ou s’enlacent ou sont assis sur les genoux de leur partenaire. Certains arborent des anneaux de mariage.

Presque aucune photo n’est datée, mais les coiffures, les costumes témoignent de leur époque : la ruée vers l’or, les années folles ou les années 50. Les endroits où elles ont été prises ne sont pas mentionnés non plus, mais une affiche en cyrillique, une maison typiquement américaine attestent de leur probable origine géographique.

Tous sans exception sont touchants, la flamme qui dévore leurs yeux transcende leur relation et c’est à cet éclat que les collectionneurs, auteurs du livre et les lecteurs identifient la relation qui unit ces amants. 

S’il ne fallait en retenir qu’un seul, mais c’est impossible, ce serait peut-être cet instantané formé par ces  très jeunes gens, d’à peine vingt ans qui arborent une pancarte : Not married, but willing to be. L’émotion est à son comble quand en détaillant leur image, on devine qu’elle fut prise vers 1910, une centaine d’année avant que leur souhait ne devienne réalité en occident. À leur sourire volontaire, on imagine que l’espace d’un instant, ils ont cru très fort à leur rêve impossible.
Si pratiquement touts les portraits sont anonymes, seule parfois la date est mentionnée ; deux d’entre elles retiennent l’attention : il s’agit de John et Dariel, soldats de la seconde guerre mondiale prenant la pose en 1945 dans les Alpes autrichiennes. 

De rares indications sont reportées : John et Geo au verso du cliché de deux garçons au sourire triomphant des années trente ; At sea ; April 1943 ;  Walter and Mike ; parfois des phrases un peu plus longues sont retransmises mais dans la grande majorité, seule l’imagination permet de retracer ces passions interdites.
Dans ces clichés s’écrit la longue histoire qui a permis la légalisation de l’homosexualité même si elle est encore passible en 2021 de peine de mort dans certains pays d’Afrique ou du Moyen-Orient.

Ce livre renseigne sur les différences entre les gays très visibles dans les grandes villes (dès 1930, les drags queens participaient à des bals à New-York) et l’amitié virile derrière laquelle étaient contraints de se dissimuler les homosexuels dans les campagnes. Au Far-West, par exemple, dans un monde rude, les hommes devaient camoufler   leurs liens sous la forme d’une mâle camaraderie.

L’histoire de la photographie va de pair avec le roman de ces partenaires qui n’hésitent pas à détourner les codes liés au mariage avec humour ou gravité. Certains posent sous une ombrelle, avec un bouquet de fleurs, dans les bras de l’autre, avec un labrador couché à leurs pieds comme sur une traditionnelle photo de famille.

Les illustrations les plus récentes datant de 1950, la plupart des amants immortalisés ont disparu mais la magnifique collection de Hugh Nini et Neal Treadwell, deux collectionneurs texans permet de faire revivre leurs passions pour l’éternité. Leur collection accidentelle comme ils la nomment compte 2800 couples.
Et qu’importe (ou tant mieux), si l’on ne sait rien des deux adolescents qui souhaitaient s’unir il y a plus d’un siècle ou des deux cow-boys à moins qu’ils ne s’agissent d’ouvriers radieux de la couverture. L’amour qui n’ose pas dire son nom, selon le poète lord Alfred Douglas rayonne à chaque page de ce très beau livre et rend justice à tous ceux qui hier et aujourd’hui encore sont persécutés en raison de leur attirance défendue pour l’être aimé.

Brigit Bontour

Régis Schlagdenhauffen, Ils s’aiment. Un siècle de photographies d’hommes amoureux. 1850-1950, coll. Hugh Nini &Neal Treadwell, Les Arènes, octobre 2020, 335 p.-,  49 €

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