"Les Prostituées", onze nouvelles de Maupassant

Un Goût d’ail au lit


Onze nouvelles de Maupassant regroupées sous le titre les Prostituées. Un thème ? Elles non plus.


Sans aller jusqu’à accuser Folio de tomber dans le même vice que ces éditeurs de dvd qui revendent exactement le même produit au client distrait en changeant régulièrement la jaquette du boîtier, on peut émettre certaines réserves sur la composition du recueil de onze nouvelles publié sous le titre les Prostituées. Il est évidemment exclu, à l’heure qu’il est, qu’on puisse trouver au fond d’un tiroir des inédits de Maupassant, mais rien n’empêche — et cela a d’ailleurs déjà été fait — d’aller puiser dans divers recueils des choses déjà connues et de les regrouper sous une étiquette thématique. Car c’est très tendance, le théma. Et, bien entendu, le fait que le volume soit sorti à peu près au moment où l’on conviait les Parisiens à aller voir une exposition sur la prostitution au XIXe siècle ne saurait être que le fait du hasard…


Donc, c’est nouveau, ça vient de sortir, mais franchement, on les a déjà lues, toutes ces nouvelles, à commencer par Boule de Suif ou par Mademoiselle Fifi. Et si, en outre, on a en tête cette curieuse lettre à un ami dans laquelle Maupassant s’écriait Alléluia parce qu’il venait d’apprendre qu’il avait contracté la syphilis, c’est avec un certain détachement, sinon avec une certaine réticence, qu’on se met à feuilleter l’ouvrage.


Mais au bout de quatre ou cinq pages, il faut bien se rendre à l’évidence. Il vous vient une envie irrésistible de relire tous ces textes, parce que chacun d’eux, si bref soit-il, a les vertus d’une tragédie classique. Autrement dit, ce qui, au départ, apparaît comme étant une simple anecdote a tôt fait de révéler toute une vie. L’une de ces histoires se nomme l’Armoire ; elle avait été adaptée pour la télévision par le cinéaste franco-polonais Walerian Borowczyk, amoureux de l’étrangeté quotidienne : intrigué par les bruits qu’il entend dans l’appartement de la prostituée des services de laquelle il aimerait profiter en paix, un client découvre que celle-ci est la mère d’un jeune garçon qu’elle dissimule dans une armoire au moment où elle exerce ses activités. D’habitude, l’enfant dort. Mais cette fois-ci il est resté éveillé.


Eh bien, toutes ces nouvelles (et tant d’autres) de Maupassant servent à "ouvrir des armoires", à révéler que derrière le spectacle d’une réalité apparemment joyeuse et souriante se cachent très souvent des drames et des existences entières gâchées. Nulle femme n’est prostituée volontairement. Oui, chacune des "vignettes" proposées par Maupassant à son lecteur pourrait s’intituler Une Vie, même si la majorité d’entre elles sont vingt fois plus courtes que le roman qui porte effectivement ce titre. Peu d’écrivains ont à ce point l’art de concentrer.


Ces armoires qui s’ouvrent sont bien sûr l’occasion de dénoncer l’hypocrisie de la bourgeoisie, les êtres les plus méprisants se révélant souvent être les plus méprisables. Les bourgeois bien-pensants de Boule de Suif ne sont que des pompiers pyromanes, des vertueux qui condamnent des vices qu’ils ont souvent eux-mêmes produits, un microbe qu’ils ont eux-mêmes inoculé : telle fille de la campagne atterrit à la ville parce qu’elle a été séduite (et abandonnée) par son patron. Maupassant, quoique par des moyens différents, mène le même travail de sape que Hugo dans les Misérables : il arrive que le juge soit le premier responsable de la culpabilité de l’accusé(e).


Mais le client n’est pas toujours odieux, loin de là. Lui aussi est victime d’une fatalité. Sa fréquentation des prostituées est là pour cacher — et d’abord à lui-même — sa profonde et désespérante solitude. On connaît les fameuses pages de Maupassant dans lesquelles il explique que les écrivains réalistes sont en fait des illusionnistes, mais on comprend mieux ce paradoxe en lisant ces Prostituées. Les écrivains réalistes ne sauraient être que des illusionnistes puisque c’est la réalité elle-même qui, parce qu’elle est insupportable, la vie n’étant que l’antichambre de la mort, ne cesse de se dissimuler sous des masques. All the world’s a stage. Faut-il vraiment avertir les lecteurs qui, au vu du titre de ce recueil, s’attendraient à être émoustillés, qu’ils en seront pour leurs frais ?


Nous disions plus haut qu’il y avait peut-être quelque malhonnêteté intellectuelle dans la conception même de ce volume. Mais il convient, inversement, de saluer la belle franchise de l’éditeur qui n’a pas craint de reproduire sur la quatrième page de la couverture cette phrase extraite de l’Armoire, que nous évoquions plus haut : "Le charme sensuel que j’avais cru voir en cette créature, là-bas, sous les lustres du théâtre, avait disparu entre mes bras, et je n’avais plus contre moi, chair à chair, que la fille vulgaire, pareille à toutes, dont le baiser indifférent et complaisant avait un arrière-goût d’ail."


FAL


Guy de Maupassant, Les Prostituées — Onze nouvelles, choix et présentation de Daniel Grojnowski, textes établis et annotés par Louis Forestier, Gallimard, "Folio Classique" n° 6004, septembre 2015, 5,90€. 


Ce volume contient :


Mademoiselle Fifi 
L’Odyssée d’une fille 
Le Lit 29 
L’Armoire 
Le Port 
Boule de suif 
La Maison Tellier 
L’Ami Patience 
Ça ira 
Nuit de Noël 
Les Vingt-Cinq Francs de la supérieure

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