"1958, La Naissance de la Ve République," comme un album de famille feuilleté par Michel Winock

La collection Découvertes Gallimard en est à plus de 500 volumes… Initialement prévue pour la jeunesse, elle a largement dépassé ce cadre car elle est étonnante. Elle se présente comme un heureux compromis entre l’image et le texte. Certes, on pourrait lui reprocher d’être un peu confuse, mais finalement sa débauche d’images a … une vertu, celle de retenir l’œil et d’éduquer l’esprit.

Plus proche et plus lointain…

La mémoire et le temps sont des lutins facétieux. Ce qui est le plus proche n’est pas forcément le plus familier… Après 1945, quel mystère… Le volume réalisé par Michel Winock nous conte la naissance de la Ve République en 1958. Je suis ravi que ce professeur émérite de Sciences Pos l’ait signé car je me souviens avec émotion de sa chronique personnelle avec toutes les illusions de la jeunesse, sur la même période (La république se meurt). J’aime son style sobre et lucide. Ayant travaillé dans un service d’archives, je déplore la masse de documents administratifs que l’on peut y conserver et le manque affreux de témoignages des gens du XXe siècle. Quel dommage, au passage, le silence de ces personnes qui ont vécu un bouleversement unique dans l’Histoire… Ils se sentent vaincus et inutiles, or les vaincus se taisent. Pour en revenir à l’auteur, il organise son ouvrage de façon claire et classique.

Une république fragile…

Après 1945, deux assemblées constituantes sont nécessaires pour accoucher d’une quatrième république fragile. Elle est mal aimée et prise en sandwich entre les communistes qui roulent pour l’idéal révolutionnaire mondial, élaboré à Moscou, et le RPF, parti « inspiré » par le général de Gaulle, qui refuse, dés son discours de Bayeux de 1946, la pâle copie de la république précédente. Il désire un pouvoir exécutif fort et non un régime dominé par une assemblée versatile. Il n’est pas du propos du volume d’ouvrir sur une analyse fine de l’attitude gaullienne et de la comparer à la tradition bonapartiste. On en est aux faits et la présentation d’une documentation photographique, entre autres, extraordinaire au sens premier du terme car, finalement, délaissée et peu connue…

Une parenthèse…

 …Surtout dans les manuels d’Histoire où tous ces épisodes sont survolés… Mais de toute façon, sachez-le, l’enseignement de l’Histoire est discrètement massacré depuis vingt ans au profit d’une géographie qui se cherche et d’une Education Civique qui présente parfois des faciès de propagande… au mieux, gênante… Toute personne jeune qui connaît quelque peu l’Histoire de notre pays, aujourd’hui, le doit à une démarche volontariste.

Le treize mai 1958…

Cette pauvre république modernise la France et doit se défendre sur sa droite et sa gauche. Elle doit faire aussi face à un vaste mouvement de décolonisation attisé par les deux nouveaux « patrons » du monde : l’URSS et les Etats-Unis. En 1954, une partie des Algériens se lève contre l’autorité française. L’armée, salement « mouchée » en Indochine, n’a pas l’intention de se faire « avoir » en Algérie qui est considérée comme une partie de la métropole et pas comme une colonie. Le 13 mai 1958, les Français d’Algérie se soulèvent contre un gouvernement jugé incertain. L’armée suit. Paris panique. Les Gaullistes viennent jeter de l’huile sur le feu et suggérer à des militaires sans solution de dire « De Gaulle » pour tout sésame. De Gaulle se met à disposition  déployant tout son charme -impressionnant- pour affirmer qu’on ne commence pas une carrière de dictateur à 67 ans (et coquet en plus !). Les Mitterrand ont beau ramper, traîner sur le trottoir leur silhouette reptilienne de « grand -homme-qui-attend-que-l’époque-soit-assez-vile-pour-le-faire-reluire » (avis parfaitement partial, hors du livre, mais crié par l’exceptionnelle documentation photographique, notamment page 62). Y’a Daladier aussi, lui, il n’attend plus rien.

De Gaulle obtient les pleins pouvoirs et mitonne une constitution, avec l’aide d’un  Michel Debré auquel F. Luchini ressemble incroyablement,  qui est acceptée en octobre 1958 par les Français… La Ve République est née…

Bien sûr, comme dans chaque volume de la collection, un gros cahier de documents et témoignages, très bien fait, achève et densifie l’ouvrage qui se veut, avec succès, une approche intelligente de la question. Ce qui est peut-être le plus beau, c’est que l’auteur nous préserve de la trop grande  liberté à laquelle les documents nous conduisent…

A consommer sans modération


Didier Paineau


Michel Winock, 1958, La Naissance de la Ve République, Gallimard, « Découvertes », n° 525, avril 2008, 13,50 € 

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