"Skorzeny, chef des commandos de Hitler"

Le frisson de la survie du nazisme…

Glenn B. Infield est un ancien pilote américain qui s’est lancé dans le livre d’histoire sur la Seconde Guerre Mondiale. Son ouvrage sur Otto Skorzeny, paru en 1981 à New York, puis trois ans plus tard en France nous revient en poche dans la collection Tempus. Contrairement à ce qu’affirme la quatrième de couverture, ce n’est pas le premier ouvrage sur le personnage, il y en a eu un de l’écrivain normand Jean Mabire (introuvable), notamment.

De l’ombre à la lumière
Otto Skorzeny est autrichien, né en 1908. Ingénieur polyglotte, on peut le définir avant tout comme une « tête brûlée »,  passionné par le risque. Nazi de la première heure, il joue un rôle actif dans le rattachement de l’Autriche au Troisième Reich, semble-t-il. Beaucoup du travail de G.B. Infield vient des déclarations du géant balafré, or il avait tout intérêt à minimiser son rôle quand il était devant ses juges . Peu remarquable dans les opérations militaires ordinaires, sa santé est défaillante, il est nommé au service action ss, en avril 1942. Cette officine fait concurrence à l’Abwehr, les services secrets classiques. Cette dispersion des énergies est courante dans l’Allemagne hitlérienne. 

Les feux de la rampe

En 1943 Skorzeny sort de l’ombre. Hitler lui demande en personne de lui ramener son ami Mussolini emprisonné par les Italiens, eux-mêmes , qui fléchissent et songent à rejoindre les alliés. L’Autrichien mène l’opération de main de maître. Il fait atterrir ses planeurs sur un replat étroit semé de rochers dans les montagnes des Abruzzes. Son commando neutralise les gardes italiens, et, encore un coup de folie, un avion réussit à emmener Mussolini et Skorzeny. Après cet exploit, il a la confiance absolue de Hitler. Il est l’as des coups tordus. C’est lui qui cerne Pétain en 1943, le dissuadant de tenter  de passer en Afrique du Nord. Il est envoyé en Yougoslavie pour enlever Tito puis rappelé avant la conclusion de l’affaire. Il mène des opérations troubles au Danemark en 1944. Au moment de l’attentat du 20 juillet contre Hitler, il reprend en main Berlin qui est sur le point de basculer du côté des conspirateurs (voir l’article sur Stauffenberg). En septembre, la Hongrie du régent Horthy vacille à son tour dans son alliance avec le Reich. Le régent est tenté de faire un armistice avec l’URSS. Otto intervient encore. Il enlève le fils du régent avec un commando, le roule dans un tapis et malgré la fusillade des soldats hongrois, réussit à l’emmener en lieu sûr. Le père s’effondre et renonce aux négociations avec les soviétiques (octobre 1944). Il mène une opération militaire, au premier rang, qui remplace le régime du régent par un gouvernement aussi national-socialiste qu’éphémère.  En décembre, lors de l’offensive des Ardennes, il dirige les commandos déguisés en soldats ricains qui sèment la panique et le désordre à l’arrière des lignes alliées.

Retour à l’ombre

Skorzeny sent le vent tourner  et peu à peu épouse l’ombre. Il prépare l’après-guerre, cachant de l’argent et des documents utiles. Il tisse des réseaux notamment avec le général  Gehlen, chef des opérations de contre-espionnage sur le front de l’Est, ou Schacht, l’argentier du Reich. Tous pensent que les réseaux installés en URSS pourront être utiles aux Américains… Il aide les capitaux des riches allemands à passer en Espagne, au Portugal… Fin janvier 1945, Himmler charge Skorzeny de tenir une partie du front sur l’Oder, avec un ramassis de troupes hétéroclites et épuisées. Il tient jusqu’en fin février, puis il est rappelé par le Führer. Il est chargé de monter une organisation de résistance clandestine nommée werewolf dans le livre. Il s’agit manifestement d’une erreur, c’est Wehrwolf, loup-garou, du nom d’une organisation allemande qui tentait de survivre au milieu des terreurs de la guerre de Trente Ans (1618-1648) où la moitié de la population a passé l’arme à gauche ! Skorzeny entraîne quelque 400 hommes, mais cela n’aboutit à rien d’efficace (pas de terreur sur les arrières alliés, quelques exécutions, quelques graffitis), pas plus que le réduit alpin autour de Bertchesgaden où les Alliés craignent de voir se former le dernier carré de la garde ss. Les rumeurs sur Skorzeny grandissent à mesure qu’il se glisse dans l’ombre. A-t-il emmené Hitler dans le mystérieux hydravion qui s’est posé puis est reparti de Berlin dans la nuit du 29 au 30 avril 1945 ? A-t-il détenu la correspondance Mussolini-Churchill qui révélait l’admiration du second pour le premier ? Quoiqu’il en soit notre homme se planque dans un chalet des Alpes avec quelques fidèles. Il doit faire des  efforts pour être pris au sérieux et arrêté par les Américains le 16 mai 1945. Il propose aussitôt ses services aux Etats-Unis contre le communisme. Accusé de crimes de guerre, il est blanchi. Le témoignage de l’officier anglais Yeo-Thomas, détaché auprès de la Résistance française, est déterminant : oui, les Alliés aussi ont utilisé l’uniforme de l’ennemi… Nous sommes en 1947, Skorzeny reste en prison car bien des pays s’intéressent à lui et les Américains ne savent qu’en faire ?

Ombre et brouillard

Ce point d’interrogation est un début de commencement, si on peut dire !  On le maintient en prison pour la « cour de dénazification » (lire à ce sujet le Questionnaire d’Ernst Von Salomon). Le colosse décide à la place de ses juges et s’évade en juillet 1948 avec de faux uniformes américains et de faux documents (fournis par les E.U. dira Skorzeny). Le temps des conjectures démarre. On l’a vu ici ou là, il fait ceci ou cela. Il rend des services, son réseau obtient des renseignements sur le premier avion à réaction soviétique. Il est l’élément déterminant d’Odessa, réseau d’anciens nazis, et du réseau Spinne (araignée) qui permet l’évasion des nazis via l’Italie. Ce réseau utilise souvent les mêmes  monastères que ceux utilisés par les Juifs  (grandeur des mystères catholiques !). Skorzeny jette l’ancre dans l’Espagne de Franco et l’Argentine de Peron.  Il se replie ensuite sur l’Egypte quand l’Argentine change de régime et noyaute le régime de Nasser. Le livre bascule dans le romanesque ou l’anecdotique, au moins. Skorzeny joue au chat et à la souris avec les chasseurs de nazis. On a du mal à adhérer à l’ « influence considérable sur nombre de nations grâce à son organisation et ses complices SS » de la page 305, même si Odessa favorise le maintien d’une certaine présence nazie dans l’Allemagne Fédérale. On sombre dans le journalisme à sensation, « bof bof » jusqu’à la mort du gars en 1975 à Madrid, faute de documents sérieux qui ne viendront sans doute jamais… J’ai tapé sur internet, ben, Ingrid Bétancourt a été libérée grâce aux réseaux Skorzeny, figurez-vous… Une légende,  en somme, d’autant plus qu’il n’a jamais mis de l’eau dans son vin, comme Léon Degrelle.

Un livre intéressant mais avec réserve  pour la fin, le secret se prêtant mal aux études historiques, par définition…


Didier Paineau

Glenn B. Infield, Skorzeny, chef des commandos de Hitler,  Perrin, "Tempus", mars 2012, 370 pages, 9 euros

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2 commentaires

intéressant mais quelques imprécisions: la question d'un éventuel départ de Pétain s'est posé en novembre 1942 (et non en 1943) au moment du débarquement en Afrique du Nord. Si certains de ses partisans le pressaient de prendre un avion, lui a préféré rester, persuadé qu'il serait plus utile et continerait de jouer un rôle. En 1943, Pétain a tenté de reprendre la main en tentant un "coup d'état" contre Laval (avec l'appui de l'amiral Platon) mais ce fut un échec magistral. Ce qui est vrai par contre est que Hitler redoutait une "évasion" de Pétain...

très intéressant, une histoire épique  à propos de ce héros du bord d'en face...