"Erich von Manstein, le stratège de Hitler"

Un exemple parfait de cadet prussien

Benoît Lemay, spécialiste d’histoire militaire, nous propose la biographie du plus grand général allemand de la Seconde Guerre Mondiale. Issu d’une famille de la noblesse prussienne comme tous ses collègues ou presque, il reçoit l’éducation du cadet classique. Un cadet développe courage, énergie, fidélité inébranlable à l’empereur, sentiment de supériorité… L’auteur passe assez vite sur cette période formatrice déterminante (on pourra lire avec avantage Les Cadets d’Ernst Von Salomon pour en pénétrer mieux une mentalité qui semble à des siècles de ce que nous sommes…).

Un surdoué de l’art militaire

Von Manstein est mal connu en Europe de l’ouest, pour la simple raison qu’il a joué un rôle avant tout sur le front de l’Est. Pendant la Première Guerre, il n’est sur le terrain qu’en 1914, le temps de recevoir deux balles de fusils. Par la suite, il ne quittera plus les états-majors, où, sans avoir les diplômes requis il s’impose par la puissance de son intelligence. Après 1918, comme ses camarades, il ne comprend pas les causes de la défaite et déteste la république de Weimar. Il est un des rares officiers à demeurer dans la nouvelle armée allemande. Sa fidélité se reporte sur l’Etat, et, sans aimer la république, il ne complote pas contre elle. Von Manstein passe pour un têtu, ambitieux, impertinent envers ses supérieurs, il s’impose par la puissance de ses intuitions et de ses analyses. B. Lemay rappelle ce que l’on sait depuis un moment mais qui, pour diverses raisons, a du mal à pénétrer les esprits : la république de Weimar a largement préparé le terrain à Hitler, dans un esprit revanchard pugnace. Von Manstein participe au réarmement clandestin de l’Allemagne, à l’élaboration de plans contre la Pologne, la France…

Le mariage de Hitler et de l’armée allemande

Hitler arrive au pouvoir le 30 janvier 1933, en Allemagne. Il a besoin de l’armée pour renforcer sa position. L’épuration de la SA aurait aussi son origine dans le choix que Hitler fait… Il table sur la tradition nationaliste de l’armée plutôt que sur l’aventure socialiste de la SA. En effet l’armée et lui ont de larges points communs : le désir de revanche, le mépris des Juifs et des Slaves, la haine du communisme… Le seul bémol personnel de Manstein est qu’il défend les officiers ayant des ascendances juives, au nom de la fameuse camaraderie des cadets. Il y risque sa carrière. C’est la seule fois qu’il le fait…

1940, c’est lui !

Devenu général à l’état-major de l’armée allemande, en 1936, il joue désormais dans la cour des grands… La rapidité de sa promotion est fulgurante. On fait parfois appel à lui pour des situations délicates, c’est ainsi qu’il improvise en quelques heures le plan d’invasion de l’Autriche en 1938. Tous les projets d’agression de Hitler rencontrent l’adhésion enthousiaste de ses généraux, quoiqu’ils en aient dit après la guerre. S’il n’intervient que peu dans la campagne de Pologne, il joue un rôle déterminant dans la campagne de France. Hitler adopte l’idée de Manstein, celle du coup de faucille qui encerclera le meilleur des armées alliées en Belgique. Mais il a déplu aux grands généraux et il est déplacé en Pologne quand ce qu’il a prévu se passe comme il le pensait… L’application du plan qu’il prévoyait n’est pas assez énergique et permet à l’armée anglaise de s’échapper à Dunkerque.

Le pompier de Hitler

L’auteur dédouane Hitler d’avoir eu le monopole du mépris des Russes et prouve par le menu la responsabilité, la complicité des généraux de l’armée allemande dans les massacres, notamment de Juifs, sur les arrières de l’armée pendant la campagne de Russie qui débute en juin 1941. Von Manstein s’illustre dans la conquête de la Crimée. Il se révèle génial dans la manœuvre. Hitler se croit capable de diriger l’armée et repousse le nom de Manstein, malgré les suggestions des autres généraux, Staline n’a fait cette sottise. Manstein prend de l’ampleur mais comme pompier des incendies impossibles à éteindre : délivrer la Sixième Armée à Stalingrad puis gagner la bataille de Koursk connue comme la plus grande bataille de blindés de l’Histoire (1943). Il sait qu’une armée inférieure en nombre n’a de chance que dans la manœuvre quand Hitler veut s’accrocher au moindre pousse de terrain. 

Un nain politique et un hypocrite

C’est à cause de cette divergence que Von Manstein finit par être écarté par le Führer, qui se réserve l’espoir de le reprendre le jour où, qui ne viendra jamais, l’armée allemande pourra à nouveau manœuvrer… Notre général se révèle un nain politique bien vaniteux. Non seulement il garde une fidélité absolue à Hitler, même s’il s’en moque en apprenant à son chien le salut hitlérien, et il se croit tellement indispensable qu’il attend patiemment qu’on le rappelle… Il attendra en 1944 et 1945, restant sourd à toute suggestion de s’associer au fameux complot contre Hitler en juillet 1944. Arrêté et condamné après 1945, il est un des plus importants artisans de la défense d’une armée allemande sans tache, victime de Hitler… Légende qui finit par arranger tout le monde en pleine guerre froide où on a besoin de la participation allemande. C’est avec honneur qu’on l’enterre en 1973, mais avec lui on enterre aussi la mentalité de la vieille armée prussienne

Un livre sérieux et bien écrit

Voilà un livre rigoureux, abondé de cartes (hélas en fin de volume), de notes et d’un index. Il a l’aspect détaillé des ouvrages militaires, ce qui peut lasser ceux qui se moquent de ce que faisait la 11e division de la troisième armée le 22 juin 1944… Mais il est tout à fait passionnant dans l’analyse stratégique des hautes sphères du commandement. Quant à Erich Von Manstein, il est un grand général mais un petit homme comme l’écrivait Raymond Aron, car il n’a pas la dimension politique et sociale d’un Napoléon ou d’un Alexandre le Grand.
 

Didier Paineau

Benoît Lemay, Erich von Manstein, le stratège de Hitler, Perrin, « Tempus » (1re éd. février 2006), avril 2010, 768 pages, 12 € 


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2 commentaires

"Staline n’a fait cette sottise", c'est un peu osé, quand même, sachant que staline, méfiant et paranoiaque,  a litteralement decapité l'etat major de l'armée rouge juste avant  la guerre par peur de supposé complots.

"Staline n’a fait cette sottise", c'est un peu osé, quand même, sachant que staline, méfiant et paranoiaque,  a litteralement decapité l'etat major de l'armée rouge juste avant  la guerre par peur de supposé complots.