Claude Frochaux, Bons mots : la sagesse en souriant

La couverture de cet ouvrage, illustrée par Folon, rappellera aux anciens l’époque où la télévision osait encore consacrer à la littérature des émissions dignes d’elle. Quant au titre, il fait penser à un ana, ce genre qui fut jadis à la mode et qui, généralement centré sur un auteur, rapportait ses bons mots ainsi que des anecdotes où il jouait le plus souvent le beau rôle. Ce n’est pas tout à fait faux puisque ce recueil obéit, du moins pour une bonne part, au même principe. A ceci près que les « bons mots » rapportés n’ont pas un auteur unique, mais une multitude d’écrivains, de penseurs, de poètes, de philosophes, d’artistes appartenant à toutes les époques et à tous les horizons.

 

En outre, je ne suis pas sûr que ce titre soit bien choisi. Car le lecteur sera déçu s’il s’attend à trouver des calembours, des à-peu-près, des réparties brillantes, tout ce que l’on range d’ordinaire dans la catégorie des mots d’esprit. Il s’agit plutôt, ici, de réflexions, de maximes, d’apophtegmes. De considérations plus ou moins générales. De sentences. De pensées remarquables en ceci qu’elles ont pour mission de nous éclairer dans diverses circonstances de la vie et qu’elles valent pour tous les temps et toutes les époques. Ce qui justifie qu’elles aient traversé les siècles. Piquantes, le plus souvent, car leur rôle est, aussi de nous amuser.

 

Bon, pensera-t-on : voici donc une anthologie de la sagesse des nations. Erreur profonde. Ecoutons l’auteur de l’avant-propos, qui se cache sous le pseudo d’Octave de Pavie et que je soupçonne être le compilateur lui-même – tant il est vrai que, si l’on en croit l’adage, on n’est jamais si bien servi que par soi-même : « La sagesse des nations est collective. Ici, seuls comptent les individus. Farouchement solitaires. Centralement marginaux. Ils regardent le monde de profil. Et le monde devient drôle. Saugrenu. Imprévisible, donc imprévu. Par la force ou, le plus souvent, la faiblesse des choses. »

 

Acceptons-en l’augure et partons à la découverte de ces solitaires. Au hasard, bien entendu, puisque telle est la règle du jeu : ce genre d’ouvrages  ne se lit pas d’une traite, ni selon un itinéraire déterminé. Il se prend et se laisse, se prend à nouveau, au gré de l’humeur du moment. Le premier auteur sur lequel je suis tombé est Cioran, à qui convient sans conteste le qualificatif de solitaire. « Un moine et un boucher, assure-t-il, se bagarrent à l’intérieur de chaque désir. »

 

Il voisine, dans la même page (la page 88) avec Jean Lorrain, Nietzsche, André Suarès, Malcolm de Chazal et Balzac, lequel constate, avec un humour de potache plutôt inattendu, que « l’abbé ne fait pas le moine. ». Bel éclectisme que confirmera la lecture d’autres passages.

 

Quant à savoir les critères qui ont présidé à l’ordre des citations, je ne suis pas parvenu à les trouver de façon certaine. J’ai d’abord constaté, puisque Mme de Sévigné cohabitait avec André Malraux, Alain et Hannah Arendt, que la chronologie, tout comme l’alphabet, n’avait pas guidé le compilateur. Restait le classement par thèmes. Il s’est révélé aussi peu probant. Si bien que j’aime à croire que le hasard seul, s’il existe, a présidé à ces rencontres insolites.

 

Ce qui est certain, c’est que nous sommes d’emblée avertis : « Il y aura des surprises dans l’inventaire. Des profondeurs insoupçonnées. ». Là réside le charme de cet opuscule. Il n’est pas interdit d’y céder et de le déguster, mais à petites doses.

 

Jacques Aboucaya

 

Claude Frochaux, Bons Mots, L’Âge d’Homme, octobre 2013, 144 p., 9 €.

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