Andreas Weber et les lumières des vivants

Andreas Weber appelle de ses vœux un nouvel âge des Lumières ranimé par une culture du vivant selon un état de nature bien compris, c’est-à-dire en pleine conscience et maîtrise de l’art d’être un élément fécond d’un écosystème.

Le XXIe siècle est décrété résolument écologique – ou il ne sera plus... Si la fin du monde est une histoire sans fin, le catastrophisme est rarement éclairé et il ne fait pas une politique de revitalisation...
Et si nos peurs suscitaient une volonté de responsabilité (Hans Jonas) salvatrice ?

Andreas Weber invite à nous défaire de notre habitude de penser selon les termes du dualisme entre nature et culture et à vivifier notre héritage des Lumières par un rapport renouvelé à la communauté des vivants. Pourquoi ne pas "écologiser" la politique pour de vrai en repensant le sens de nos existences terrestres dans une perspective d’Enlivenment, c’est-à-dire de dépassement des dites Lumières en parfaite connaissance de cause ?

Cette perspective implique au préalable de penser comme une montagne, selon l’expression de l’écophilosophe et forestier Aldo Leopold (1887-1948), afin de  féconder le monde par une pratique imaginative que l’on pourrait appeler la poétique spéculative. Ne sommes-nous pas l’espèce poétique par excellence ? La poésie n’est-elle pas un mode de connaissance immédiate sur ce que c’est que de faire partie du monde vivant ? Pourquoi ne pas considérer tous les êtres comme les participants à un foyer commun de matière, de désirs et d’imagination dans une économie de transformations métaboliques et poétiques ? Pourquoi ne pas remplacer la notion de marché par celle de foyer biosphérique ?

Face aux dévastations engendrées par la civilisation technologique, l’écologie a acquis, semble-t-il, la force de l’évidence. Mais tous les intérêts ne convergent pas vers la même évidence naturelle et ne communient pas dans la même intuition poétique et océanique... Si suivre les principes de l’Enlivenment consiste à se déployer en tant que membre vivant d’un foyer animé et dynamique fait de flux d’énergie et de significations, alors cela pourrait bien, sur cette ligne de front, signifier recréer des relations de réciprocité honnêtes et fécondes... En aurons-nous l’intelligence ?

Un monde de convivialité ?
Andreas Weber invite à reconsidérer ce qui est donné en partage à tous les vivants : ce commun, c’est la vitalité, le désir de toucher et faire se rencontrer les corps pour créer des communautés fertiles d’épanouissement mutuel... Car  les organismes vivants se réalisent mutuellement dans leur être par l’établissement de relations et ce faisant produisent non seulement leur environnement mais aussi leur identité même.

Ces communs créent un monde de convivialité par la transformation réciproque, aux antipodes d’une société sans contact de contrainte automatisée pilotée par une technosphère sans conscience : Toujours faire de nouvelles expériences constitue l’essence de la vie, la force vitale.
Le journaliste oppose une économie des communs, fondement de la niche écologique que les humains se construisent par des moyens culturels, à une économie de prédation où les profits de la fuite en avant technologique alimentent des concentrations de richesses abyssales – et exigent toujours plus de surveillance...
Or, ce n’est pas par l’exercice du contrôle que le monde devient meilleur, mais par la participation.

La culture, faite de médiations et d’échanges créatifs, n’est pas qu’une option dans le champ des possibles : elle est ce processus d’imagination et de transformation de la réalité  traduisant en langage sensible la communauté des destins humains avec ceux du vivant. Loin de s’opposer à la nature, elle en est l’une des manifestations. Aussi ne saurait-elle être stérilisée ou dévitalisée  par une volonté de contrôle et d’ingénierie de la nature. Le monde n’est-il pas fait de matière désirante voire pensante cherchant à se régénérer par le contact, en toute liberté ?

L’humanité est la façon dont la Terre se pense lorsqu’on lui permet de rêver de liberté... Et rêver la liberté ensemble permet d’imaginer la Terre que l’on voudrait habiter et partager... Autant ne pas la traiter et la surexploiter comme si on pouvait lui en substituer une autre sur un coup de dé – ou prétendre être en capacité de survivre sur d’autres planètes potentiellement habitables après avoir brûlé sa demeure terrestre...

Ainsi, la mise en œuvre d’une économie vitalisée favoriserait l’éclosion d’une vie riche et ludique, régénérée par et pour la joie de tous sur notre Arche originaire (Husserl). En avons-nous les bonnes passions – et le temps, encore ?

 

Paru dans Les Affiches d'Alsace et de Lorraine

Michel Loetscher

Andreas Weber, Invitation au vivant – Repenser les Lumières à l’âge de l’Anthropocène, coll. Anthropocène, Seuil, septembre 2021, 234 p., 21 €

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