Le Mousquetaire, dans la gloire et la vérité

Le nom à lui seul ouvre une histoire qui se dédouble. A côté de la vraie, une autre histoire qui accompagne la première de près a pris la force d’une vérité ; c’est une fiction en marge, si proche de ce qui est vrai qu’on y croît. Comme si autour d’une réalité incontestable et précise, une seconde existence avait gagné sa propre forme, au point de faire oublier la source originelle. Le mousquetaire, voilà un mythe qui naît sous la plume d’un écrivain qui le rend mondialement immortel et pour beaucoup, véridique, reléguant ainsi l’authentique dans une sorte d’oubli. Mais entre les deux, finalement, le lien est si fort qu’ils se servent l’un de l’autre pour se valoriser. Sans l’écrivain, aucun doute, ce valeureux fantassin n’aurait pas connu autant de gloire.

 

Alexandre Dumas (1802-1870) qui est fils de militaire, est un homme plein de ces qualités que l’on prête à ses héros. Il est pour le moins très haut en couleurs, il a le verbe puissant et incisif, fougueux, vif, il s’endette au-delà du possible, il est bon vivant, gourmet, travailleur infatigable, débordant d’imagination. Sa vie est une manière de roman. Il écrit comme on respire, avec aisance. Mais son style n’a rien de facile, à l’inverse de celui de ces livres modernes qui accumulent les banalités. Certaines de ses phrases sont des bijoux, ciselées, percutantes, modèles de perfection littéraire. « Dumas conquiert, Dumas fascine ».

 

Au hasard de pages prises dans ses quelques trois cents ouvrages et qui se rapportent à notre sujet, trois citations qui soutiennent la preuve de son talent:

« Vous avez un jarret de fer, un poignet d’acier ; battez-vous à tout propos ; battez-vous d’autant plus que les duels sont défendus, et que, par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre ».

« Sans remords dans le passé, confiant dans le présent et plein d’espérance dans l’avenir, il se coucha et s’endormit du sommeil du brave ».

« Il ne faut pas laisser un drapeau aux mains de l’ennemi, même quand ce drapeau ne serait qu’une serviette ».

 

Un rappel maintenant, nécessaire. Le mousquetaire - qui se doit d’être aussi bon à la guerre qu’à la parade - est un soldat armé d’un mousquet, mot venant de l'italien moschetto, « ancienne arme à feu portative, plus lourde que l’arquebuse » dit le Robert. Beaucoup plus lourde en effet, exigeant pour tirer et cibler un support sous le canon. Une arme qui passionne Louis XVIII qui réunit une extraordinaire collection dont un étonnant pistolet à rouet à trois canons. Utiliser un mousquet n’est pas simple, ne serait-ce qu’en raison de son poids.

 

Dans le livre Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire jusqu’à la paix de Nimègue, paru en 1862, on peut lire ceci :

Charger un mousquet, et surtout le bien charger, était une opération longue, compliquée, difficile; si le mousquetaire était surpris hors d'état de faire feu, l'arme qu'il tenait entre ses mains était plus embarrassante et moins utile qu'un bâton. S'il était conduit à la charge, infanterie contre infanterie, il marchait le mousquet sur l'épaule et l'épée à la main; mais contre la cavalerie, quels étaient ses moyens de défense? Que valaient-ils? Peu de chose….Une troupe de cavalerie s'avançait-elle contre le bataillon; c'était d'abord le mousquetaire qui faisait feu, tandis que le piquier demeurait inutile; si le feu du mousquetaire n'arrêtait pas la charge, c'était le tour du piquier de se mettre en défense, tandis que le mousquetaire demeurait spectateur oisif, mais non désintéressé du combat; car si le piquier se laissait vaincre, c'était fait de lui et du mousquetaire en même temps; sans compter que le piquier, se tirant d'affaire pour son propre compte, laissait souvent le mousquetaire payer pour tous les deux.

 

On connaît la Maison militaire du roi de France, qui recrutait l’élite des rangs de l’armée. Mais le cardinal de Richelieu a aussi ses gardes d’arquebusiers à cheval et de gentilshommes,  notamment attachés à sa sécurité personnelle. Le cardinal « supportant mal d’être entouré », n’eut longtemps autour de lui que « trente mousquetons ». En 1631 néanmoins, devant les menaces d’assassinat et les risques qui en découlent, une compagnie de « chevau-légers » vient compéter cette garde qui porte la casaque rouge, appelée à devenir un signe visuel fameux dans les actions de cape et d’épée.

 

Le mousquetaire est de droit habilité à porter justement cette épée qui entre ses mains se transforme en une arme redoutée, afin de « tuer galamment ». Si la lame provient d’une manufacture spécialisée, sa garde fait l’objet d’un traitement particulier de la part d’artisans qualifiés, fourbisseur, ciseleur, doreur et damasquineur, ce qui permet de distinguer son origine et son usage, comme l’épée à « taza » d’Espagne ou l’épée « à la Pappenheim » d’Allemagne. Son maniement requiert adresse, souplesse, vitesse et la connaissance des principes de l’escrime qui distingue des autres le bretteur éprouvé. Jacques Callot (1592-1635) dessine au crayon noir deux silhouettes d’hommes debout, coiffés du grand couvre-chef et couverts de leurs manteaux qui les enveloppent comme de longues capes de drap, ce qui leur donne une belle allure.

 

Parmi les milliers de personnages créés par Dumas, quatre se hissent au-dessus des autres, quatre héros dont la devise est renommée. En latin le Unus pro omnibus, omnes pro uno  donne le fameux Un pour tous, tous pour un. Il s’agit de Porthos, Athos, Aramis, les intrépides béarnais, et de d’Artagnan, le gascon. « Remplis de morgue et de fierté, la moustache arrogante, recherchant l’aventure », bottés avec les éperons à molette, mais surtout « guerriers courageux et fidèles, entièrement au service du roi », ils se jurent une amitié sans faille. De son vrai nom Charles Ogier de Batz, d’Artagnan entre en qualité de cadet dans le régiment des gardes françaises. Attaché à Mazarin, proche de Louis XIV, gravissant tous les échelons de l’armée, intelligent stratège, autoritaire, il meurt devant Maastricht d’une balle…de mousquet ! « D’Artagnan et la gloire ont le même cercueil ». Dumas qui aime la fantaisie, le nommera maréchal !  (Il est permis de violer l’histoire, disait-il, à condition de lui faire un enfant). 

 

Ces soldats illustres ont inspiré de nombreux peintres et caricaturistes, puis des cinéastes. On pense au tableau des frères Le Nain, à la gravure d’Abraham Bosse, à Meissonier, à Dufy et Picasso. Gene Kelly, Belmondo ou encore Christophe Malavoy interprètent ce rôle épique.  Leur fortune médiatique et populaire reste immense et justifiée.

 

En ne prenant pour titre que ce nom qui claque comme une charge, cet ouvrage retrace toute l’histoire des mousquetaires, leur participation importante aux événements du siècle, par exemple au temps de la Fronde. Il rétablit la vérité tout en reconnaissant la place éminente de Dumas dans la connaissance et la reconnaissance de cette caste à part. Les intrigues à la cour (les ferrets) et les énigmes (le masque de fer) sont abordées comme est détaillée la journée du mousquetaire et le dressage équestre, avec objectivité et attention, avec érudition et humour. Cette lecture permet de revenir aux fondamentaux sans que se perde la part de légende qui parle toujours au cœur. Il accompagne une magnifique exposition qui se tient au musée de l’Armée aux Invalides, présentation également rigoureuse, également riche d’œuvres d’art, de documents exceptionnels, de cartes, d’armes et d’armures (entre autres celle, splendide pour la richesse de ses décorations, de Richelieu) qui témoignent en faveur du passé. Un double dialogue à engager avec cette « académie » de gentilshommes qui observaient un véritable code d’honneur. En plus, avec panache !

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction d’Olivier Renaudeau, Mousquetaires !, éditions Gallimard, 272 pages, nombreuses illustrations, 19,5x25,5 cm, mars 2014, 35 euros.

 

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