Amédée de La Patellière, le rêve et la gravité

Le visage est long, le regard profond, presque sombre. Les couleurs qui sculptent le front et le nez très droit s’aimantent autour de gammes étroites de bruns, d’ocres, de bistres, qui sans être éteintes, ne brillent d’aucun éclat significatif.


La main gauche, soudée à la tête, accuse cette impression de réflexion et de gravité qui émane de ce regard profond et cette bouche silencieuse. Dans ce tableau volontairement structuré, on sent une certaine influence cubiste. En 1923, Amédée de La Patellière signe cet Autoportrait à la chemise blanche. Il a 33 ans, il a commencé depuis peu sa carrière de peintre. Il a devant lui une petite dizaine d’années pour exprimer toute l’intériorité qui l’habite et cette part de rêve qui l’accompagne. La guerre l’a marqué, durablement, physiquement et mentalement.

 

Ce gentleman campagnard comme disait Jean Giono dont il illustra le roman Colline publié en 1929, se confronte à une lutte dialectique entre le bien et le mal, il oscille entre une spiritualité héritée de son éducation religieuse et un penchant assumé vers une sensualité qui lui inspire ces toiles suggestives, dont la charge érotique se cache sous le contrôle de la volonté, une façon de traiter les sujets, tout à fait perceptible dans Les Baigneuses à Sauzon de 1921, les Grandes Baigneuses brunes de 1924, Le Nu renversé ou encore Les Deux modèles dormant de 1930, enfin Les Baigneuses de 1931. Les chairs s’exposent, ni vulgaires ni pudiques. Les couleurs sont chaudes, les modelés se doublent d’ombres, assurent l’opulence des corps. Les « pulsions charnelles » ont traversé son œuvre. Elles sont le contrepoids de ces natures mortes sous un ciel d’orage, de ces intérieurs obscurs de fermes qui sont comme la transposition de cette intimité close qui est la sienne. Il est intéressant de voir comment au fil des ans La Patellière a évolué entre les gammes de teintes, en délaissant toutefois et peu à peu ces clartés qui caractérisaient son travail des débuts, comme on le note dans ce tableau de 1921, Les Cinq femmes dans l’atelier, qui n’est pas sans rappeler par sa composition la manière de Cézanne et qui offre un éventail de tons clairs que le temps va assombrir.   

 

Deux dates pourraient borner l’essentiel de son travail, qui tient en une dizaine d’années. Né en 1890, il commence en effet à peindre autour de 1920 pour s’arrêter en 1931, lorsque la maladie l’affecte brusquement et l’emporte l’année suivante. Sa première exposition personnelle a lieu en 1926 chez Katia Granoff, cette femme née en Ukraine en 1895 qui aimait révéler les talents nouveaux et écrivait des poèmes. Un des lieux auxquels l’existence de La Patellière et son œuvre sont liées est Bois-Benoît, à la foi parce qu’il s’agit du domaine familial où il voit le jour, mais aussi parce que, revenant sur cette terre nantaise par la suite, il y peint et y trouve des thèmes qui l’inspirent directement, lui permettant de garder des attaches fortes avec la nature, d’y trouver les raisons d’une forme de méditation sur les beautés de la création, la simplicité et la vérité des choses de la terre.

 

Les titres de ses peintures d’alors nous renseignent sur ce goût qu’il a pour le monde rural, comme Le Repos champêtre (L’Abreuvoir), Le Repas des paysans, Le Retour des bœufs, Paysannes à l’étable, autant de déclinaisons des activités de la campagne, des rythmes « des champs et de la forêt », que son pinceau aborde avec réalisme, en scandant les plans, valorisant les volumes des bêtes comme des arbres. La touche devient presque rustique, a « la couleur de la terre », garde cette empreinte ténébriste qui montre combien « le plein air ne convenait pas » à cet artiste. Sauf en de rares endroits, la lumière tombant oblique est avare, austère mais n’abolit pas les contrastes. La Patellière a de toute évidence une exceptionnelle aptitude pour construire ses tableaux, les équilibrer, ce qui lui permet de « s’exprimer comme les anciens » sans rester en retrait des connaissances que la modernité a apportées. Son grand mérite et son intérêt est d’avoir atteint cette qualité esthétique, sans réelle formation sauf un an à l’Académie Jullian, en prenant pour référents deux maîtres immenses, Delacroix et Courbet. Il débuta sa brève trajectoire par des aquarelles ayant pour sujet la guerre, moins descriptives des faits que présentant à travers elles ses propres sentiments sur les combats et la mort.

 

Dans le remarquable texte qui introduit cet ouvrage et qu’il faut lire pour bien comprendre la singularité d’Amédée de La Patellière, Serge Lemoine souligne que ce peintre reste difficile à situer, car il n’était « ni nabi, ni fauve, ni cubiste », ajoutons ni surréaliste. Si on peut le relier aussi à Millet, à Corot ou aux frères Le Nain, il faut surtout lui laisser cette part inaliénable d’originalité qui est le reflet de sa vie partagée entre tant de contradictions. « Il me faut du mystère, du tragique, des oppositions, des éclats ». Mots qui traduisent les angoisses et les attentes, langage qui à son tour se traduit par ces signes qui animent, au sens premier du terme, les toiles, que ce soit le masque, la chouette, le coquillage, l’arbre, éléments de la mélancolie, de l’onirisme et du lyrisme.     

 

Longtemps méconnu sinon inconnu, sans avoir reçu de son vivant ni les années suivant sa disparition les hommages que sa peinture méritait en dépit de nombreuses expositions, Amédée de La Patellière revient, somptueusement exposé dans un cadre qui accroît encore l’ampleur de son legs à la peinture en particulier et à l’art en général. Les quelques 120 œuvres exposées apportent la preuve de sa puissance. Parce qu’elles figurent à la suite des reproductions du catalogue, ce qui constitue une source appréciable et un témoignage afin de saisir toute la portée de sa production, il convient de lire les notes et les réflexions sur l’art  rédigées par La Patellière lui-même, toutes issues d’une vive intelligence, d’une capacité affinée d’observation, utiles pour entrer dans son univers certes ambigu parfois mais non privé d’une sincérité foncière. Il est de la même manière nécessaire de lire aussi les extraits de la fortune critique signés par une série d’auteurs, de Mauriac à Pierre Cabanne, qui ont su mesurer dans ses pleines dimensions la valeur et de l’homme et de l’artiste.

 

Pour accueillir La Patellière, rien de moins qu’un cadre unique et magnifique, un de ces endroits où les conjonctions sont nombreuses. Construite entre 1927 et 1932, dans le style Art Déco, la piscine de Roubaix est pour l’époque un modèle d’innovation, avec comme cœur de l’édifice, le grand bassin décoré de mosaïques. Il faut admirer les jeux de transparence et de résistance maîtrisée que les verrières donnent à la voûte en béton. Les cabines abritent des tableaux, les statues de la galerie se reflètent dans l’eau. On est fatalement tenté d’écrire, c’est  facile mais l’image demeure, qu’il faut plonger dans ce musée comme on se lance dans une expérience ou un parcours et nager avec la sensibilité ouverte aux découvertes. Toutes pièces de la collection, les œuvres de Camille Claudel, Carpeaux, Rembrandt Bugatti et Dalou parlent sculpture entre elles, comme le font Vuillard, Dufy, Foujita et Marquet pour la peinture.

 

Trois autres artistes s’imposent, qui élargissent la surprise et garantissent le plaisir de la visite.


Ce sont d’abord Henri Delvarre, peintre avant tout local qui rejoint vers la fin de sa vie le mouvement de l’abstraction lyrique mais était un paysagiste et un portraitiste éloquent.


Ensuite Henri de Maistre (1891-1953), élève de Maurice Denis comme on le voit aisément sur  plusieurs de ses œuvres d’orientation religieuse. 


André Maire enfin dont on regarde avec satisfaction et stupéfaction les scènes captées par son œil aiguisé de voyageur et sa main audacieuse qui amplifie sans les dénaturer les paysages exotiques, les habitants des contrées lointaines et les sites fascinants, en maniant comme nul autre fusains, sanguine, craies, lavis d’aquarelle, ce qui fait que l’on passe de Tolède à Saigon en suivant avec bonheur une jeune fille vietnamienne et les pénitents noirs à Barcelone….

 

Dominique Vergnon

 

Patrick Descamps, Amédée de La Patellière, les éclats de l’ombre, édition Gourcuff Gradenigo, 23x29 cm, 170 illustrations, 214 pages, 24 euros.

 

Alice Massé, Maxime Rosset, Henri Delvarre (1898-1974), édition Snoeck/La Piscine, 20x26 cm, 132 pages, nombreuses illustrations, 25 euros. (jusqu’au 14 septembre 2014,  voir : www.roubaix-lapiscine.com)

        

 

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