Gilles Aillaud, animalité et naturalité

Devant ces huiles, ces gouaches, ces crayons et ces aquarelles, se lève une double impression de présence et de silence. La présence d’abord, celle des animaux qui s’exposent dans leur nature créée simple et absolue, indifférents mais pas insensibles au regard posé sur eux, le pressentant, l’évitant, peut-être le recherchant. Comment savoir ? Leur sauvagerie est domestiquée, leurs bonds et leurs cris sont acclimatés, la bestialité est domptée. Ils vaquent, se reposent, nagent, attendent, vivent en somme, à petite échelle, sous l’œil du visiteur attentif qui les observe pour les représenter. Le pinceau les saisit dans un instant infime de leur lente existence. Le silence ensuite. De ces bêtes mises en autonomie conditionnée, ce même pinceau approche au plus près en entrant dans des lieux qui sont pour elles abris, cages, fosses, piscines, enclos, des lieux carrelés, cimentés ou grillagés devenus leurs derniers périmètres privés. Grâce à une habile construction des cadrages, le regard entre dans ces aires suivant des angles différents, soit au niveau même, soit par au-dessus, ou alors de côté. Au plus près, sans effraction comme si Gilles Aillaud prenait le respect pour mesurer la bonne distance de son observation. Les teintes sont lisses et froides comme les parois, elles brillent et respirent comme les occupants. Gilles Aillaud se révèle en cela un « peintre philosophe », selon le mot employé dernièrement par un critique.

 

Dans un des textes introductifs à cet ouvrage, on lit que « Gilles Aillaud est d’abord un sujet : l’animalité ». Certes, mais il est aussi naturalité, si on donne au mot son sens désormais le plus souvent admis, à la jonction du milieu naturel, de l’environnement, de la vie sauvage, de la défense de la faune et de la flore, autre manière de dire biodiversité et écosystème. Car le silence évoqué s’étend aussi sur les grèves sableuses où ne règne que le vent, espaces infinis à marée basse rendus légitimement à leur naturalité. Serait-ce mal évaluer l’œuvre de cet artiste très averti pour ne pas penser que dans ses œuvres, il a voulu  associer les deux concepts qui renvoient à des notions plus vastes qu’eux? Ne pas oublier qu’il étudia la philosophie avant la peinture.

 

Dans ce zoo de multiples couleurs et d’espèces, certains animaux dorment - le python, la panthère, l’ours blanc - d’autres jouent - l’otarie, l’ours brun - d’autres encore mangent et s’affairent - le serval, le rat de Hambourg - ou oublient leur condition claustrée en se réfugiant en quelque sorte dans leur monde intime - l’hippopotame dans l’eau. L’orang-outang est en suspens par la tension de ses membres, la genette guette les yeux agrandis, le rhinocéros tourne le dos ou alors somnole, la tête appuyée contre un barreau. Gilles Aillaud restitue en évitant les effets de la virtuosité de la planche encyclopédique mais avec l’objectivité du gardien qui aurait le talent de le capter, le quotidien de ses amis les bêtes. 


« Dans leur milieu d’origine, ils se cachent sous des fourrures, des carapaces, des peaux, des écailles et des plumages », résultat d’une adaptation parfaite au biotope. Ici leur univers est artificiel. Rien de symbolique dans ces images, une interrogation en ricochet, sur l’animal capturé qui n’a plus sa liberté, sur l’homme absent qui à la fois préserve et détruit. Mais dans cette ménagerie où les formes et les tons sont des occasions répétées de trouver de quoi l’alimenter, la palette n’est pas seulement descriptive. Elle pose aux humains des questions complexes. Ces pages tentent d’y répondre.

 

Dominique Vergnon

 

 

 

Sous la direction d’Anne Dary, Elisa Farran, Jean-Charles Vergne, Gilles Aillaud 1928-2005, Somogy éditions d’art, 90 illustrations, 104 pages, 20X26 cm, février 2015, prix 19 euros.

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