L’art de la majolique au temps de la Renaissance italienne

D’abord observer une carte, pour situer les lieux de création qui donnent à cette faïence, fixant histoires et légendes en couleurs vives et éclatantes, son lustre, sa séduction et sa noblesse. Une petite quarantaine de centres, déployés de Turin à Palerme, de Gênes à Naples, autour de Florence, en Emilie-Romagne, dans les Marches, sont comptés. Partout, une inégalable conjonction de matière et de manière. Exploitant les ressources géologiques de la Péninsule, innovant, s’adaptant à la clientèle, diffusant leurs fabrications, ces centres créent un « nouveau langage décoratif » que ce texte explique en détails, rendant justice à un art trop ignoré. Comme le rappelle d’entrée l’auteur de cet ouvrage aussi remarquable pour son érudition que rayonnant pour ses illustrations, « la majolique historiée reste une production d’exception ».

 

 

Grâce à la maîtrise technique acquise dans les différents lieux de production, loin d’en affadir la qualité esthétique, sa propagation assure un élargissement de la majolique qui passe en quelque sorte de l’usage commun à l’objet de luxe. Cette évolution traduit un épanouissement constant de son statut social. L’attrait qu’elle représente pour l’Europe entière lui assure un fort et constant courant de commandes. Les motifs mythologiques, antiques et religieux constituent un répertoire majeur. Deux villes jouent à partir de 1520 un rôle fondamental dans la majolique historiée, Urbino et Casteldurante. Par la suite, d’autres foyers de création livrent des œuvres de très belle facture et d’un grand intérêt iconographique, tels Forli et Faenza, ce dernier mettant au point une glaçure bleutée du plus bel effet comme en témoignent notamment le plat représentant Jésus parmi les docteurs et la coupe avec Le Sacrifice de Marcus Curtius. Aux deux autres centres de Gubbio et Deruta est associée la majolique lustrée. Cette technique, utilisée en Irak aux VIIIème et IXème siècles, produit des « effets métallescents qui valent bientôt à ces céramiques un statut d’objet précieux». Sa diffusion en Espagne permet de mieux comprendre les raisons des hypothèses formulées quant à l’étymologie du nom majolique dont l’auteur, conservateur en chef au département des Objets d’art du musée du Louvre, chargée des arts du feu pour la Renaissance et le XVIIème siècle, explique au début du livre l’origine et les étapes de réalisation. Un dessin de 1557 met en évidence le travail des potiers qui façonnent les pièces à l’aide de leur tour tandis que sur une assiette de 1510-1515, on voit un artiste habillé avec élégance et muni d’un fin pinceau peindre un décor pour un couple admiratif devant son savoir-faire.         

 

 

Un des aspects passionnants de ce magnifique ouvrage permet également de saisir les liens souvent très étroits et subtils entre peinture et poterie, entre les maîtres du pinceau et les maîtres de l’argile. Intérêt narratif et somptuosité polychromique atteignent des niveaux extraordinaires. L’exemple de Francesco Xanto Avelli, originaire de Rovigo, en Vénétie, mais qui mène sa carrière dans le duché d’Urbino, est à cet égard révélateur. Il se situe comme à la charnière des deux arts. On admire ainsi l’équilibre de sa composition de 1531, un Saint Jérôme, partagée par un arbre au tronc gris qui s’élève dans le bleu soutenu du ciel montrant l’ermite lisant assis sur la droite, tandis qu’un ange aux ailes déployées et les épaules barrées par une vaste écharpe orangée lui apporte une bible qui semble lourde à ses petits bras. Une citadelle évoquant peut-être Jérusalem se dresse au fond à gauche. Dans son exécution sur un plat où il présente La Décadence de Rome, cet artiste fait preuve tout autant de son immense talent à intégrer dans l’espace les personnages dans un environnement architectural complexe, à les rendre vivants, à associer les couleurs et à raconter une histoire. Sa production compte près de quatre cents pièces datées et signées. De même que Nicola di Gabriele Sbraga, à la tête d’un « atelier florissant », il a eu une grande influence sur plusieurs élèves.

 

 

Les sources graphiques qui inspirent les artistes sont nombreuses. Les livres illustrés en constituent une, et non des moindres, comme les ouvrages édités par les imprimeurs-libraires, dont le célèbre Alde Manuce établi à Venise. Les estampes servent de même et connaissent un succès croissant. Un bel exemple de ce lien est donné par la gravure de Giulio Campagnola, peut-être un élève de Mantegna, actif à Ferrare et Venise, auteur d’un Rapt de Ganymède où se devine l’influence de Dürer, et la coupe reprenant le thème, pièce d’un artiste anonyme du duché d’Urbino. C’est d’ailleurs par ce biais que l’œuvre du maître allemand se trouvera diffusée en Italie. Grâce à cette méthode de transcription, il en va ainsi pour Raphaël, Michel-Ange, Giulio Romano et d’autres, les rapports entre la majolique et la peinture étant, on le redit, nombreux et féconds.

 

 

Le chapitre consacré aux ornements est tout aussi passionnant. Un traité de Cipriano Piccolpasso, vers 1557, mentionne cette étonnante variété des motifs qui décorent les pièces, « comme les trofei (trophées), rabesche, (arabesques), cerquate (chêne), grotesche (grotesques), foglie (feuillage), fiori, (fleurs), frutti (fruits), paesi (paysages), porcelane (porcelaines), tirate (traits), sopra bianchi (blanc sur blanc), quartiere (quartiers), groppi (nœuds) et candelieri (candélabres) ». On trouve aussi des putti ailés, des satyres, des cornes d’abondance, des guirlandes et de merveilleux entrelacs comme ceux qui décorent une assiette aux armes des Médicis, dont les délicates harmonies de tons bleus clairs et foncés font penser à quelque broderie céleste. Une nouvelle dimension, plus humaniste, se fera jour au début du XVIème siècle. Entre un aquamanile et sa poignée en forme humaine, un bassin trilobé et une aiguière maniériste à trois anses décorée de masques grimaçants, la curiosité et l’admiration sont de pages en pages aimantées et relancées.

   

 

Dominique Vergnon

 

 

Françoise Barbe, Majolique, l’âge d’or de la faïence italienne au XVIème siècle, Citadelles et Mazenod, avril 2016, 22 x 30 cm, 272 pages, 260 illustrations, 59 euros.  

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