Des portraits aux marines, l’art très varié d’Eckersberg

 

Jeune médaillé de l’Académie royale des Beaux-Arts du Danemark, désireux de devenir peintre d’histoire, le genre le plus prisé alors, Christoffer Wilhelm Eckersberg arrive en 1810 à Paris où il reste trois ans. 




Bien qu’arrivé avec un bon niveau de pratique, il accroît sa confiance en lui-même auprès de David qui le compte parmi ses élèves. Dans ses lettres, il fait référence à ce maître dont l’influence se perçoit dans les tableaux de cette époque (Le Retour d’Ulysse). Déjà on remarque ce style précis et soucieux de perspectives (Le Pont royal vu du Quai Voltaire, Vue du château de Meudon près de Paris) qui caractérise son travail. Puis il s’installe à Rome dont les ruines et la végétation lui inspirent plusieurs toiles avenantes, où les perspectives jouent effectivement un rôle manifeste, donnant une largeur accrue à ses huiles.

 

A côté de la Vue à travers trois arches du Colisée à Rome (1815), considéré comme le tableau le plus célèbre d’Eckersberg, que Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia, connaisseur éclairé du peintre et à juste titre enthousiaste de son œuvre, qualifie de « magnifique mensonge », les deux vues des jardins de la villa Borghèse et de la villa Albani apparaissent sans doute plus simple, mais alliant réalisme et poésie, elles sont d’une extrême qualité et portent une note personnelle. A cet égard, il est intéressant de rapprocher un de ses tableaux de celui de Corot, exécuté une dizaine d’années plus tard, montrant l’un et l’autre à partir d’un point de vue pratiquement identique le château Saint-Ange et la courbe du Tibre. Il est clair que la palette du premier n’a rien à envier à celle du second. Trois ans plus tard, il retourne à Copenhague pour entamer une brillante carrière de professeur. Frappé par le choléra, il meurt en 1853.

 

A parcourir les salles où sont accrochés les 82 tableaux constituant cette première grande exposition consacrée en France à Eckersberg, ce qui frappe est bien la faculté naturelle de l’artiste de pouvoir passer d’un sujet à un autre, avec une égale aisance, sachant garder les fondamentaux classiques qui lui assurent la maîtrise totale des mises en place et des accords de couleurs, tout en évoluant vers des thèmes originaux, qui sont autant de jalons de renouveau dans son parcours avant tout académique. L’amplitude des sujets traités et la gamme chromatique soutenue par la précision de la touche et beaucoup de sensibilité séduisent le regard. Des scènes d’intérieur très soignées mais assez formelles et des raideurs des débuts, notables entre autres dans ses peintures religieuses, Eckersberg passe en effet à des compositions à la fois plus abouties et plus libres, enrichies par son émotion propre. Les panoramas citadins un peu resserrés ont pris de l’ampleur, de même les vues de la campagne, éclairées par la lumière du Nord qu’il utilise de façon maîtrisée (Vue de  Furesøen près de Rudersdal, Vue de Koster depuis un débarcadère à Kalvehave).

 

A l’opposé des paysages, autre surprise, les portraits. Certes plusieurs de ces portraits, répondant à des commandes, semblent assez austères (Hans Christian Ørsted, Mendel Levin Nathanson, qui fut longtemps son mécène), leur auteur préférant rendre avec fidélité l’apparence extérieure au détriment d’une mise en avant psychologique qui aurait donné davantage de vie aux visages. Mais beaucoup se révèlent attachants, évoquant par leur intimité et leur grâce certains portraits d’Ingres (Emilie Henriette Massman). Eckersberg surprend encore avec ses nus, réalistes, sans complaisance, mais aux modelés nuancés et parfois sensuels. Nouvel étonnement venu de quelques toiles inhabituelles dans sa production, non dénuées d’humour, vivantes, comme anecdotiques mais traduisant son sens affiné de l’observation (Figures courant sur le pont de Langebro au clair de lune, Scène de rue - pluie et vent).

 

La grande découverte de son éclectisme provient des marines qui occupent une place importante dans sa carrière. Effets d’atmosphère et de transparence, effets de lumière que ses paysages italiens annonçaient, effets de mer expérimentés par un peintre qui la connaît pour avoir voyagé, fidélité des silhouettes navires et des mouvements navals dans les ports, il est à l’aise dans ce répertoire qui, comme auparavant avec Joseph Vernet en France et sa célèbre commande des ports par Louis XV en 1753, prenait désormais rang au Danemark parmi les genres prisés des amateurs. La scène montrant le passage de l’AEgir, vaisseau royal de Christian VIII, au large de l’escadre qui vogue toutes voiles dehors, témoigne de la capacité d’Eckersberg à rendre à la fois la grandeur et l’intérêt historique de l’évènement, sous le double jeu de l’écume écrêtant les vagues et des pavillons rouges et blancs flottant aux hauts des mâts tandis qu’un habile sfumato anime le ciel jusqu’à l’horizon. Gardant un ton d’authenticité, le pinceau prend cependant des accents plus dramatiques lorsqu’il s’agit de rendre compte de la tempête dans laquelle la corvette Galathea se trouve prisonnière.

 

En marge des délicates études de nuages, qui ne sont pas sans rappeler celles de Constable, on doit signaler enfin les dessins, au nombre d’une quarantaine, à nouveau preuve de la diversité des approches et des inspirations du peintre. Il est tour à tour rigoureux, agité de romantisme, témoin de la vie sociale, utilisant la plume, le crayon graphite, l’encre brune et noire rehaussée de lavis gris ou bruns, tantôt avec une retenue voulue qui esquisse à peine les objets et les lieux (Vue d’une plage avec des barques), tantôt avec une profusion de détails qui accroît l’impression de décor spectaculaire (Paysage près d’Illsenstein), Eckersberg montre sur toutes ces feuilles son « goût pour une narration efficace ».  La présentation de ces dessins qui mettent en valeur le don d’Eckersberg de contempler et de rendre ce qu’il voit, sans idéalisation mais sans sécheresse, trouve ici sa justification, la Fondation Custodia conservant environ 400 dessins danois.

 

En réunissant 125 tableaux, dessins, estampes, dans une unité de présentation dont il faut souligner la sobriété, cette exposition monographique, accompagnée par un catalogue d’une belle qualité, comprenant un cahier central avec d’élégants détails de tableaux, rend compte de l’esthétique d’un artiste majeur de l’âge d’or danois, inconnu jusqu’alors en France, opportunément proposé à la curiosité du public qui ne peut manquer de saluer l’éventail de ses talents.

 

Dominique Vergnon

 

« C.W. Eckersberg (1783-1853), artiste danois à Paris, Rome et Copenhague »

Fondation Custodia - collection Frits Lugt, 121 rue de Lille, Paris VII.

23x31 cm, 336 pages, juin 2016, nombreuses illustrations, relié, 40 euros.

Jusqu’au 14 août 2106

www.fondationcustodia.fr

 

 

 

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