Albert Bensoussan : Hymne à la vie

Albert Bensoussan est un amoureux des mots. Je crois même qu’il les aime dans presque toutes les langues. Il a traduit quelques-uns des plus grands écrivains latino-américains, dont Mario Vargas Llosa et Manuel Puig. Il a un tempérament de « passeur », comme on dit aujourd’hui. Il sait ainsi faire voyager une œuvre d’une langue à l’autre, en transmettre le sens et surtout cette musique intime qui est si difficile à traduire. Mais Albert Bensoussan est aussi un écrivain qui, depuis la parution de son premier livre, « Les Bagnoulis », paru au Mercure de France en 1965, a écrit plus d’une trentaine de livres où il nous livre par fragments son autobiographie. Cette œuvre est marquée par l’exil. Elle est née d’une déchirure, d’une rupture avec sa terre natale, l’Algérie. Comme il le dit superbement : « Je me suis dépouillé de mon enfance par lambeaux successifs que j’ai appelés livres. Chaque livre publié était livre de ma chair arrachée, de ma mémoire abolie. »

 

Ces « lambeaux » arrachés à sa mémoire, y compris à sa mémoire récente, on les retrouve dans son dernier livre, « Guildo blues », publié aux éditions Apogée. Il les intercale entre les pages du présent. C’est comme une ponctuation dans la longue phrase de l’existence. Il y a la mort et il y a la vie. Il y a la souffrance et il y a la joie. Il y a le dépouillement et il y a la renaissance. Il y a l’Algérie. Il y a la Bretagne où il a si longtemps vécu, où il vient encore souvent. Ce livre est un hymne à la vie, malgré les épreuves. Le lisant, je ne lis pas : j’entends. Il y a quelque chose d’oral, de musical même, ce qui n’est guère étonnant quand on sait que l’auteur est un grand amateur d’opéra qui a consacré un livre à Verdi. Et cette voix qui s’élève au fil des phrases est lumineuse, chaude et vivante. Ecoutons-le : « Je préfère me laisser porter sur les flots poétiques du verbe, m’abandonner paresseusement au roulis des métaphores, me griser de paronomases et de jeux sur les mots, faire de la lettre ma propre chair et des mots mon esprit ; en somme, glisser à l’intérieur des lettres hébraïques comme en une source amniotique d’où je ressortirais vivant. »

 

Dans « Guildo blues », il y a parfois des accents de psaume. Le verbe d’Albert Bensoussan est une offrande à un Verbe qui le dépasse : « Mes pauvres mots n’aspirent qu’à rejoindre le Verbe et contribuent, à la façon de fétus de paille, à alimenter le feu, le grand feu qui fut, est et sera l’origine de la Vie. » Ainsi son livre, qui chante la vie y compris dans son tragique, est-il aussi une sorte de méditation proche des kabbalistes, mais plus libre, sans la contrainte du Nombre qu’impose la gematria. Cela nous vaut en prime une très belle exégèse, dans le chapitre « L’amour plus fort que la mort », du « Chir hachirim », du « Cantique des cantiques ».

 

Alain Roussel

 

Albert Bensoussan, Guildo blues, Apogée, septembre 2013, 96 pages, 14 €

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1 commentaire

Un grand merci à Alain Roussel - mon cadet - qui m'a si bien lu et m'apprend  bien des choses sur ma petite prose, ce qui signe là une vraie critique. Poète prends ta plume et je te donne un baiser,
Albert qui a toujours le blues du Guildo