Alexandre Dalicia : au commencement la répétition

L'âge ne fait rien à l'affaire. Le plaisir non plus. C'est pourquoi une des héroïnes (ou des victimes consentantes)  du livre écrit :

« Je crois que ça l’a excité que je sois vierge.

Cela me déplaisait.

Je crois qu’il m’aimait vraiment, mais il avait beaucoup de

problèmes affectifs personnels à régler avec lui-même et aussi

avec ses parents.

Me déflorer était devenu un véritable enjeu pour lui |

Je n’y ai jamais pensé avant |

C’était une déception ».


Loin de tout sentimentalisme chaque pièce du puzzle de l'auteur s'emboîte (si l'on peut dire) dans drôle désir de mourir de la petite mort en se trompant parfois de cible.  Certes si les protagonistes ne meurent pas d'amour ils cherchent à se faire du bien selon une dynamo étrange.  La  peur du désir, le désir de la peur. A force d'y suer chacun peut finir par essuyer des larmes. Mais Dalicia ne fait pas dans le romantisme. L'absence de durée  tient lieu de sac. Les amants seront dépouillés, contaminé par réciprocité et capillarité tentant de repasser des images mortes  aux  images vivantes.

 

Le sexe crée son vide ou son plein dans son bain. de jouvence.  De la berge des draps se comptent les cercles  laissés à la surface. Les éphèbes ne font pas l’amour, ils le dessinent sur la nappe des avoines ou sous les hululements des oiseaux nocturnes dans l'entonnoir de la lune pour fermer le jour et faire place au rêve. Peu de champagne et whisky.  Peu de douceur.  Il  s’agit plus de  s’attacher au néant des corps en s’en remettant à eux.


« J’ai ressenti une douleur très forte.

C’est difficile à rapprocher de quoi que ce soit, puisque

précisément, c’est à cet endroit-là que l’on ressent cette douleur.

Un peu comme si l’on frotte deux blessures l’une contre l’autre.

L’impression aussi que l’on ne peut rien faire contre cette

douleur-là.

Nous avions fait beaucoup d’essais avant.

Il n’avait alors jamais réussi à me déflorer et chaque fois cela

m’avait fait mal | »


Le plaisir est moins la jouissance espérée qu’une douleur. C’est un lieu. Un problème. Est-ce une satisfaction ? Sans doute pas assez. La fin n’est jamais là où les partenaires l’espèrent. Du moins dans un temps premier. Même si après ce ne sera pas non plus une mince affaire.

 

Pour l’heure et dans ce livre, le film (lent ou trop bref) reste encore en suspens. Avant de retourner aux limbes, en enfer. C’est l'amour à cache-cache.  Le corps n'est plus enclos. Il se pénètre comme il est  pénétré. Mais ce n’est pas pour autant que tout est réglé du la douleur et du plaisir.  Dès le début les amants commencent à souffrir et jouir. Ils connaissent ça, l’éprouvent. Insaisissable limite.  Sans cesse ils reviennent au même point. Équilibre inépuisable d'être et de n'être pas.  Du fleuve d’un corps à l'autre. Au risque de n'être que ce mince rideau qui les cache du monde,  pour le ruissellement de leurs moussons.  Ce qui en surgit n'a pas de nom, ou le nom impossible.  Capable de ne pas. Là où il s'agit du corps.  Ne pouvant sortir de ce qui y rentre,  jaillit, troue,  reçoit. Chacun dans son histoire. Chacun dans son silence. Du fer à l'intérieur et le poids de nuit.  Jusqu'au bout du voyage et de la nuit.  Dans la répétition jusqu'à l'effondrement. Alors ils recommencent. Mal. De mieux en mieux. Vertige de l’aveu accepté que la pudeur n’efface pas forcément. Reste une sensation de chute et de Rédemption. De faute et d'exultation.  L'espace en spirale, en siphon.  

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Alexandre Dalicia, "Défloration( )", coll. Expérimental, Editions de l’Arsenal, 168 pages.

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