Lettre ouverte aux détracteurs de Joël Dicker

La Vérité sur l’affaire Harry Queber de Joël Dicker est un livre de plus de six cents pages que certains considèrent comme « la révélation de la rentrée », et d’autres, moins nombreux, comme un « nanar ».

 

Un jeune écrivain américain, Marcus Goldman, qui a triomphé avec son premier roman, connaît l’angoisse de la page blanche au moment d'écrire son second. Il se rend chez son ancien professeur de littérature Harry Quebert, écrivain encensé trente ans plus tôt pour son chef d’œuvre les Origines du mal, qui vit reclus à Aurora dans le New Hampshire. Mais il ne trouve pas plus l’inspiration au bord de l’océan qu’à New York. À ceci près que le drame de Quebert va lui fournir bien involontairement le sujet de son livre.

 

La dépouille d’une jeune fille, Nola, disparue trente-trois ans plus tôt est découverte dans sa propriété par des jardiniers venus à sa demande planter des hortensias bleus. Quebert est immédiatement arrêté et incarcéré. Il jure qu’il est innocent. Malgré les pressions, Goldman enquête et s’aperçoit en interrogeant les uns et les autres qu’en effet Harry Quebert, à l’été 1975, s’intéressait à l’adolescente, âgée de quinze ans. Mais personne n’a de preuves. Il exhume aussi d’anciennes histoires sentimentales, des secrets inavouables, une violence terrible.

 

Dans ce roman d’une fougue et d’une habileté déconcertante, qui va beaucoup plus loin qu’une simple intrigue policière, le lecteur est déstabilisé, charmé, subjugué, sans cesse lancé sur de fausses pistes. La recherche de l’assassin est à mille reprises supplantée par les thèmes de l’écriture, de la transmission, de la difficulté d’être écrivain. L’imposture, le marketing de l’édition sont autant de sujets analysés avec finesse, humour et gravité. Impossible de se déprendre de la magie de ce livre, de son exaspérante efficacité qui laisse pantois, admiratif et optimiste pour l’avenir de l’édition traditionnelle.



Et pourtant. Pâle copie de Philip Roth, livre de plage, nanar, faux roman américain, faux polar ! Certains critiques français ne sont pas tendres avec le jeune Joël Dicker.

 

Et si les lecteurs avaient parfois raison, et l’Académie française qui lui a décerné son Grand Prix – excusez du peu – avec eux ? Sans compter qu’il est passé très près du Goncourt et que les droits du roman ont été vendus à trente pays à la foire de Francfort.

 

Voilà sans doute ce qui agace chez Dicker : un écrivain suisse de 27 ans aurait-il trouvé la martingale secrète permettant de réunir les suffrages du public et ceux de l’Académie, en publiant un « roman américain » écrit directement en français ?

Et ce alors que tant d’auteurs talentueux, parfois brillants, ne touchent pas plus de 500 lecteurs avec leurs très pâles et très beaux récits aussi vite lus qu’oubliés ; que tant d’autres ne passent pas l’écueil du second opus, alors que lui, déjà couronné par le Prix des écrivains genevois pour son premier livre, récidive avec brio pour le deuxième. Ce n’est pas ainsi que fonctionne le monde des lettres en France, donc mieux vaut pour une petite partie de la critique anéantir d’emblée cet Helvète énervant !

Reprenons point par point les griefs formulés contre l’indésirable.

 

C’est un roman de plage

 

Non. Même si l’auteur affirme qu’écrire un livre, « c’est ouvrir une colonie de vacances ». C’est un roman populaire d’une habileté démoniaque, d’une construction époustouflante, d’un souffle inouï. Il passe allègrement d’une époque à une autre, d’un suspect à son voisin, donnant à presque tous les habitants d’Aurora, la petite ville du New Hampshire, un mobile pour avoir tué Nola, l’insolente lolita.

Ce texte n’est qu’enchaînements de situations, de personnages, de rebondissements, de suspens qui laissent la petite cité de carte postale en miettes dans un final haletant. Et ce non pas comme dans un roman de plage, mais à la façon Dicker : son livre file à un train extraordinaire, qui ne laisse pas un instant de répit à ses lecteurs et qui malgré ses presque sept cents pages se lit d’une traite.

 

C’est une réécriture de la Tache de Philip Roth

 

Admirateur de Philip Roth, Joël Dicker? Et comment ! Il dit lui-même que l’auteur américain l’a « amené à la littérature » : « Son œuvre m’a nourri. Sa pensée m’a guidé. Newark à mes yeux est le berceau des lettres américaines. »

Rarement un quasi-plagiaire aura donné autant d’arguments à ses détracteurs. Oui, comme dans les livres de Roth, le héros Marcus Goldman naît à Newark. Oui, il est juif et sa mère, caricature de la mère juive est étonnement drôle, carrément outrancière même si on ne la souhaite pas comme génitrice à son pire ennemi. L’avocat de Quebert s’appelle Roth ? Plutôt un hommage qu’un détournement insidieux.

Le livre de Dicker reprendrait l’action de la Tache, roman sur l’imposture, le droit des Afro-américains, le racisme. Pour d’autres il se serait inspiré d’un auteur japonais. Roth, dans la Tache, base en effet son intrigue sur le racisme et le mensonge. L’argument de la Vérité sur l’affaire Harry Quebert est une enquête sur le meurtre d’une jeune fille survenu trente-trois ans plus tôt. La mystification est un des thèmes de ce roman dans le roman ; le sujet principal étant l’écriture, la panique devant la page blanche, la démarche de l’écrivain incapable d’écrire.

Depuis quand deux auteurs aussi différents par l’âge et le parcours que Roth et Dicker ne pourraient tous deux parler de l’imposture, thème plutôt répandu dans la littérature et le cinéma ? Il est possible de remonter bien plus loin dans l’histoire pour retrouver des milliers d’œuvres fondées sur la trahison, le mensonge, l’imposture !

 

Un roman donneur de leçons sur l’écriture

 

Absolument, avec 31 leçons qui, au passage, numérotent ses chapitres à l’envers. Encore une provocation ! Mais comment un jeune écrivain de 27 ans peut-il enchaîner autant de truismes ? Parce qu’il aime écrire, qu’il en est à son deuxième roman et que, pour lui, l’écriture c’est l’aventure, alors que pour nos critiques parfois chenus elle n’est plus qu’un souvenir de jeunesse ou une corvée !

N’y aurait-il pas quelques jalousies, quelques rancœurs de la part de nos belles plumes face à l’enthousiasme communicatif de Dicker ? Ses leçons d’écriture données par le personnage de Quebert, le professeur, sonnent-elles si faux, sont-elles justement des truismes ? Prenons la 17, juste au hasard : « Vous devez préparer vos textes comme on prépare un match de boxe », « Il s’agit de faire des idées… des illuminations. » Une évidence, sauf que rares sont les livres qui provoquent de beaux feux d’artifice dans l’esprit des lecteurs !

 

Un roman mal écrit

 

Impossible de comparer Dicker à Camus ou Giraudoux, même si en général l’Académie française ne couronne pas l’œuvre d’un écrivain approximatif !

Alors oui, Dicker est plus proche de Balzac ou de Dickens que de Robbe-Grillet. Mais son style n’est pas pour autant indigent. Loin de là.

Son but est d’écrire des histoires, pas de ressasser son passé, ses traumatismes, de voyager autour de son nombril. Il a au contraire des fulgurances joyeuses ; une syntaxe parfois vive, brillante ou agitée. Il a les défauts de ses qualités, l’optimisme. Son premier éditeur lui avait conseillé d’être ambitieux. Il a suivi ce conseil. Il a écrit un livre vivant, débordant de tout : de crimes, d’amour, de haine, d’interrogations, de générosité.

 

Paradoxe pour un homme de la génération X, qui prouve à l’envers de la pensée dominante que l’ordinateur, la tablette et le smartphone n’empêchent pas les moins de trente ans de lire et d’écrire. De faire jubiler ses lecteurs, qui au final ne lui trouvent qu’un gros défaut : ne pas avoir prolongé son histoire encore un peu, juste pour le plaisir.

Comme l’affirme Quebert à son élève dans sa dernière leçon : « Un bon livre est un livre que l’on regrette d’avoir terminé. » Encore un truisme, sans doute, mais qui reste si exceptionnel et sonne si vrai.

 

Brigit Bontour

 

Joël Dicker, La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert, Éditions de Fallois/L'Âge d'homme, août 2012, 670 pages, 22 euros.

 

Lire la critique de Jacques Aboucaya.

  

Cette lettre ouverte est parue une première fois sur BibliObs, le site littéraire du Nouvel Obs.

 

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