L'oubli selon Claire Fercak
Claire
Fercak a l'écriture vive, rapide, désordonnée. Elle court, ici en
deux portraits croisés, deux vies, deux morts, deux amnésies. Elle
écrit l'oubli, la vie d'après, la vie sans. Suzanne a perdu son
mari, emmuré, il avait décidé de rouler trop vite. Odradek, lui,
revient de loin, de ce que l'on appelle le coma : « Un
matin, je suis sorti de l'hôpital. On m'a reconduit chez moi. Je
n'ai rien reconnu. C'était un sentiment d'une douce étrangeté. On
m'a reconduit chez moi, je n'ai pas aimé le mobilier. »
Suzanne
et Odradek ne se connaissent pas pour le moment. Lui travaille dans
une ménagerie, il est dingue des animaux. Un mi-temps thérapeutique
comme on dit. C'est sa vie, sa famille, sa folie. Suzanne, elle, est
bibliothécaire, une vie normale somme toute même si elle a perdu
l'essentiel. Qui était Léonard ? Qui est Muriel ?
Claire
Fercak alterne, oppose, réunit, fait se croiser nos deux
personnages. Leurs univers sont clos, l'oubli comme sédiment.
Odradek se roule dans la boue, sauvage, se prend pour un renard parmi
les renards, n'en revient toujours pas. Suzanne, elle, a remarqué
Odradek à la bibliothèque, elle se surprend bientôt à le suivre
dans la rue, partout. C'est une obsession.
Odradek cherche réponses
à ses questions, se jette sur les livres, emmagasine, traque, piège.
« Pourquoi les animaux ? Pourquoi travailler, vivre avec
eux, s'occuper d'eux ? Pourquoi eux ? »
Suzanne ne
comprend pas : son point de départ résonne toujours comme une
fin : le suicide de Léonard. « Dans l'éventail des
possibilités de suicide, la corde, l'overdose médicamenteuse, la
défenestration - solution majoritaire - et ton idée tordue, sans
hérédité, l'accident de voiture provoqué, semeur de doute,
entremetteur bancal entre l'incident et l'intentionnel, la
disparition inexpliquée et l'acte suicidaire. » Suzanne en
réparation. Odradek survivant. Les loups l'ont épargné mais pas
son collègue.
Hôpital psychiatrique. Les deux s'y retrouvent ;
des ailes froides et inhumaines, un immense jardin où promener son
désespoir, sa folie le cas échéant. Même pas sûr. Suzanne est
toujours à l'affût de cet homme qu'elle aimerait accoster pour de
bon. Odradek perdu dans ses plaines animales, dans ses affres d'homme
aux loups, dans sa bestialité programmée. L'auteur nous ravit, nous
met en attente, nous retient, avant le grand saut. Suzanne et
Odradek, les mêmes à quelque chose prêt. A jamais détachés de
leur passé fait de fantômes, de non-vie, de reliquats. A jamais
tournés vers un avenir contraint, limité, empêché. Un sas. Celui
de l'oubli.
Laurence Viémont
Claire Fercak, Histoires naturelles de l'oubli, éditions Verticales, janvier 2015, 186 pages, 17€90
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