Walter Sickert, le romancier de la peinture

Célèbre pour nombre de ses romans, comme Mrs. Dalloway, La promenade au phare ou encore Une chambre à soi, usant d’un style à la fois poétique et insolite, Virginia Woolf a été une des figures marquantes du Bloomsbury Group, un cercle très à la mode qui réunissait artistes, universitaires et intellectuels britanniques au cours des premières décennies du XXe siècle. Aimant visiter les expositions de peinture, comme celle des Peintres postimpressionnistes de 1910, elle était elle-même passionnée de dessins.
Dans une étude sur Virginia Woolf et les peintres*, on peut lire que si ses articles de critique sont mal reçus, elle abandonnera la littérature pour l’art : Je suis déjà une dessinatrice des plus prometteuses. Je dessine deux heures chaque soir après dîner et fais des copies de toutes sortes de tableaux, qui, selon Nessa, manifestent un sens très remarquable de la ligne.
Elle avait donc toute légitimité pour parler d’art et se trouvait bien placée pour écrire ces pages sur Walter Sickert (1860-1942), qu’elle a connu de près, peintre vu comme à l’avant-garde de l’art en Angleterre et très en vogue dans les années 1920. Virginia Woolf a le don de décrire et l’artiste et son œuvre en quelques pages, rapportant des phrases qui semblent prises au vol de conversations qui ne sont pas que mondaines, mais plutôt des échanges entre connaisseurs.
Le ton comme le style est vif, imagé, concis, percutant. Oui, Sickert est un grand biographe, dit l’un des convives ; quand il peint un portrait, je lis une vieA mon sens, Sickert me paraît plus romancier que biographe dit un autre. Il aime mettre ses personnages en mouvement, pour les regarder en action. Comparaisons toujours éclairantes reprises tout à fait à propos par Virginia Woolf dans son texte. Pour elle, Sickert compose un tableau…avec autant de soin que Tourgueniev compose un chapitre. Nous avons là en synthèse l’œuvre de Sickert, sociale, quotidienne, narrative, ambiguë.
Né en Allemagne, ayant des ascendances danoises, liée à la France, admirateur de Degas, proche de Bonnard et Monet, par ses accès aux diverses classes de la société et les regards qu’il lui porte, son talent pour créer sur la toile des effets étranges sans perdre dans son réalisme son goût pour ce qui suscite l’émotion, Sickert comme l’écrit Virginia Woolf laisse filtrer dans son pinceau cet esprit cosmopolite qui attire tant de personnes. Pendant une quinzaine d’années, elle rencontre souvent Sickert et elle relate au fil de son Journal, anecdotes, observations et jugements.
Des mots sans complaisance à l’endroit du peintre, qu’elle trouve un soir fatigué et éteint jusqu’à ce qu’il soit réchauffé par le vin mais un autre jour brillant et à son meilleur, envers lequel elle ressent, tout en le jaugeant à l’aune de sa curieuse personnalité, autant de réelle sympathie que de sincère admiration.
Paru initialement en 1934, ce texte jamais traduit jusqu’à présent en France est opportunément réédité à l’occasion de la vaste rétrospective qui vient de s’ouvrir au Petit Palais. Des lignes qui apportent un éclairage vécu, original, critique, qui explicitent en mots ce mélange d’innocence et de sordide qu’est l’univers de Sickert, et qui font lors d’une interview entrer le lecteur dans son atelier d’Hampstead. Des repères biographiques complètent utilement ce livre.

Dominique Vergnon

Virginia Woolf, Walter Sickert, une conversation, 150x230 mm, illustrations, Les éditions de Paris/Max Chaleil, octobre 2022, 80 p.-, 13€

*    Jacques Aubert

www.petitpalais.paris.fr jusqu’au 29 janvier 2023

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