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Fernand Pouillon, l’intelligence des lieux

Oublié, pire sans doute, relégué !
Pourtant quelle personnalité à la fois attachante et déroutante, quelle vie remplie jusqu’au bout des croyances, que de talents parfois surprenants chez cet homme aussi grand que mince dont l’allure évoquait celle de don Quichotte !
Avec cette touche d’idéal qui donne un style. Quel écrivain en outre, d’une inspiration inégalée.
Un de ses ouvrages, le roman paru en 1964 sous le titre Les pierres sauvages, un texte à l’image de son auteur, captivant dès la première ligne, laisse chez ses lecteurs une durable impression. Quel architecte enfin, sa vocation première, agissant en maître d’œuvre soucieux d’allier poésie des formes et vision politique, habité par le désir d’accomplir sa mission de bâtisseur dans le but disait-il, de rendre les autres plus heureux.
Apprécié, déprécié, calomnié, réhabilité, Fernand Pouillon (1912- 1986) inscrit désormais son nom au rang des grands architectes français comme Claude-Nicolas Ledoux, Viollet-le-Duc, Auguste Perret, Le Corbusier. Explorant son legs, ce livre auquel ont collaboré quatre spécialistes, chacun apportant des éclairages qui se complètent, dresse un nouveau portrait du constructeur. Des pages qui replacent dans leur contexte historique et leur vérité les jugements qui ont circulé à son sujet.
Portées par le recul du temps, l’étude approfondie des archives et la  réception des réalisations permettent désormais d’autres mises en perspectives. L’œuvre de l’architecte est réévaluée dans son ensemble. La diversité des constructions signées Pouillon montre qu’il avait les vertus de l’éclectisme prônées par Diderot. Les documents, tels que photos, plans, dessins, croquis, esquisses qui illustrent ces pages apportent de nombreux éléments inédits.
C’est tout jeune que Fernand Pouillon mesura la nécessité d’adapter aux réalités locales tout projet d’édification. Dans mon enfance, j’ai parcouru les chantiers avec mon père…Je me disais que ce que faisait mon père était facile. J’avais une espèce de connaissance innée de la construction, de la manière dont il fallait bâtir. C’est cette intelligence des lieux qui l’a inspiré dans ses visées, c’est-à-dire la faculté de voir comment unir pour le mieux les sites, les personnes et les matériaux et par-là intégrer les activités de la communauté du quartier et de la cité. Le rapprochement qui est fait avec Vauban d’un côté et l’architecte et ingénieur ottoman Sinan (1490-1588) de l’autre, deux géniaux concepteurs pour qui esthétique et exécution allaient de pair, est intéressant. Comme chez eux, quantité et qualité sont associées chez Pouillon.
En France, en Algérie et en Iran, Fernand Pouillon chercha à comprendre avant d’édifier. On sent cette volonté de mettre en évidence les relations de forme et d’échelle des bâtiments entre eux, …les espaces, les intermédiaires autour desquels s’articulent les volumes, les vides, les ciels que l’architecture découpe, les aménagements qui scandent le parcours écrit Pierre Frey, historien de l’art. Réalisée en 1957 à Alger, tournée vers la mer, rythmée par des colonnes blanches qui donnent à l’ensemble des airs d’une toile de Giorgio De Chiricho, l’immense cité « Climat de France » répondait au besoin de relogement des populations musulmanes. Cette architecture est sans mépris. Pour la première fois peut-être dans les temps modernes, nous avions installé des hommes dans un monument écrivit l’architecte.

À la différence des positions de Le Corbusier, si l’un comme l’autre ont voulu construire pour le peuple, Pouillon préféra au béton les matériaux qui renvoient à la nature, c’est-à-dire la pierre, le verre, le bois, l’eau et la végétation, préfigurant ainsi les options des architectes actuels désireux de répondre aux conditions qu’impose la protection de notre bien commun, la Terre.
Alors que Le Corbusier défendait une modernité résolue et libérée des normes d’hier, Pouillon chercha à garder l’héritage et la tradition, garant selon lui d’une vision ajustée aux besoins des gens. Revue ainsi, l’œuvre de Pouillon apparaît sous un autre relief, et lui-même moins comme le provocateur que la critique avait mis en avant que comme l’humaniste qu’elle n’avait pas su discerner.

Dominique Vergnon

Pierre Fey, Bernard Gachet et al. Fernand Pouillon, le téméraire éclectique, 196 x 255mm, illustrations, Actes Sud, septembre 2023, 368 p.,- 42,90 €

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