Toute la poésie latine… ou presque

Voici LE florilège de la poésie latine enchâssé dans un volume de la Pléiade pour les amoureux du verbe juste et de la musique des mots, car ce petit bijou est proposé dans une version bilingue. Nous voici donc au pied de l’Everest littéraire de nos contrées occidentales si décriées en ces jours troubles où la haine de soi l’emporte alors que nous devrions, bien au contraire, être fiers de nos racines. De cette poésie latine née au milieu du IIIe siècle avant Jésus-Christ avec Livius Andronicus, un poète grec (sic), né à Tarente, qui a composé la première épopée latine, une version de l’Odyssée d’Homère traduite en vers saturniens, suivie plus tard d’une seconde adaptation en hexamètres dactyliques… qui s’achève par un poème de Pascal Quignard.

Voici donc une anthologie qui prend une nouvelle dimension dans la mesure où elle court sur deux mille trois cents ans : c’est donc ici une première que d’avoir en près de deux mille pages l’essentiel de ce qui est. L’immensité du corpus de poèmes et de tout ce qui rayonne d’essentiel autour de la poésie donne le tournis mais pas de quoi effrayer les promoteurs de cette collection ! Mais pour tenir le cahier des charges, il a fallu faire des choix et c’est l’appareil critique qui fut allégé – on ne s’en plaindra pas puisque cela permit d’ajouter plus de poètes…

Ainsi est ici célébré la rencontre de la poésie et de la langue latine, une association primordiale pour l’évolution de notre dialecte qui a pris une forme particulière dans une langue dont les qualités propres et l’histoire sont exceptionnelles. Sur les feuillets d’un seul ouvrage sont assemblés des vers de Lucrèce et d’Érasme, de Virgile et de Pétrarque, d’Ovide, de Prudence et de Politien jusqu’à Baudelaire… et Quignart qui n’écrivit qu’un seul poème, en 1979, en latin ; car c’est le plus bel idiome de la terre, selon Chateaubriand, celui aussi dont la douceur et la musique si particulières (quaedam dulcedo et sonoritas) enchantaient le jeune Pétrarque avant même qu’il ne le comprit.

Voici une langue d’une rare souplesse, d’une flexibilité extraordinaire dans laquelle la dernière syllabe suffit à indiquer la fonction de chaque mot, ce qui ouvre aux poètes une voie royale pour la maniabilité et l’expressivité… un style qui se développa au fil du temps, comme si les poètes eux-mêmes avaient eu du mal à s’affranchir de certains canons et oser étirer la langue, jouer de ses possibles au plus près des frontières : ainsi découvrirent-ils que le vers standard composé de cinq éléments, un verbe et deux substantifs déterminés chacun par un adjectif épithète, pouvait prendre cent vingt formes !

En parcourant un tel empan d’histoire et de culture, l’esprit ne peut se défaire d’une grande question ouverte et difficile : le rapport intime qui relia chaque poète à la langue latine, quand arriva le moment où elle ne fut plus le support unique de la poésie et devint progressivement l’objet d’un choix. Oui, un certain jour, la Muse s’est confondue à la langue vulgaire ; la faute au copiste qui s’est reporté par facilité dans sa langue parlée ?

Toujours est-il que le latin s’enferma dans un continuum qualitatif et parfois élitiste qui cachera la grande question qui est de savoir si par-delà ces profondes différences, on retrouve en commun l’inflexion primordiale par laquelle le langage bascule vers autre chose, autre chose que la signification, dans une entreprise difficile et toujours risquée.
Ce livre souligne et met en lumière, pour le plus grand public possible, l’accès à ce chemin unique et exemplaire d’une aventure hors du commun: cette poésie inspirée par la Muse latine.

 

François Xavier

 

Collectif, Anthologie bilingue de la poésie latine, traduit du latin par André Daviault, Jeanne Dion, Sylvain Durand, Yves Hersant, Philippe Heuzé, René Martin, Jackie Pigeaud et Étienne Wolff. Édition de Philippe Heuzé avec la collaboration d'André Daviault, Sylvain Durand, Yves Hersant, René Martin et Étienne Wolff, bibliothèque de la Pléiade, n° 652, Gallimard, octobre 2020, 1920 p.-, 69 € jusqu’au 30 juin 2021 puis 74 €

 

Ce volume contient notamment des textes de Plaute, Térence, Cicéron, Lucrèce, Catulle, Virgile, Horace, Tibulle, Properce, Ovide, Sénèque, Lucain, Pétrone, Martial, Stace, Juvénal, Priapées anonymes, choix d’épitaphes ; les poètes païens des IIIe et IVe siècles, dont Ausone et Claudien ; les poètes chrétiens de l’Antiquité et du Moyen Âge, Lactance, Hilaire de Poitiers, Ambroise de Milan, Prudence, Sidoine Apollinaire, Boèce, Venance Fortunat, Paul Diacre, Alcuin, Raban Maur, Adalbéron de Laon, Fulbert de Chartres, Pierre le Vénérable, Geoffroy de Monmouth, Alain de Lille, Hélinand de Froidmond ou Thomas d’Aquin ; des hymnes liturgiques, dont le Salve Regina, les poèmes satiriques, moraux ou religieux des Carmina burana, la poésie érotique du Chansonnier de Ripoll ; les poètes de l’humanisme et de la Renaissance, notamment Pétrarque, Boccace, Politien, Érasme, Bembo, l’Arioste, Scaliger ou Giordano Bruno ; les Français Théodore de Bèze ou Joachim Du Bellay ; les Anglais Thomas More ou John Owen ; puis Baudelaire, Rimbaud, Giovanni Pascoli et Pascal Quignard.

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