Céline, le chien de Dieu

On ne présente plus Jean Dufaux, scénariste de plus de deux cents albums, dont l’extraordinaire Murena ou la non moins fameuse série Djinn ; ni Jacques Terpant dont le coup de crayon se reconnaît au premier regard, désormais auteur complet en s’attaquant avec succès aux Sept cavaliers ou au Royaume de Borée de Jean Raspail
Les voici réunit pour un hommage à l’un de nos tout premiers écrivains français du siècle passé : Céline est, avec Camus, le grand pourfendeur d’idéaux et le faucheur de certitudes qui a repositionné le roman sur la trajectoire idéale… On le retrouve à Meudon, en 1960, il persiste et signe, démontre qu’il laisse bien sa peau sur la table pour parvenir à ces deux mille feuillets, retenus par une pince à linge en bois. Le manuscrit de Rigodon ne se fait pas tout seul, pas d’ordinateur, pas de copier/coller, pas de plagiat mais des humeurs, des mots, des éclairs de lucidité, des désirs d’absolu et le tonnerre aussi. De quoi effrayer les jeunes élèves de Lucette et rouvrir un pan de mémoire au docteur Destouches, jadis maréchal des logis, fringuant officier sur son cheval, chargeant sabre au clair des rangées de barbelés défendues par les canons allemands…
Un miracle qu’il soit encore en vie…

Cette vie qui s’annonçait si troublante, surtout dans les bras de la jeune Elisabeth Graig, pétulante danseuse qui n’aimait rien de plus que le faire debout ou s’encanailler dans le saphisme, cette amoureuse de l’amour, cette pécheresse brûlée par le diable au corps… La liberté absolue, la vie devant soi et puis, la grande guerre, la boucherie.

Il y aura le Voyage par la suite qui va ouvrir la voie du succès, un premier éditeur, Denoël, et un prix, le Renaudot 1932 (quand on lui avait tant fait espérer le Goncourt !), puis ce qui aurait dû être la consécration, entrer chez Gallimard, mais Gaston est si difficile à comprendre, d’ailleurs style ou pas style, il s’en tamponne du moment que cela se vend… Le talent c’est bien connu, c’est une question de chiffres, pas de lettres et encore moins de points de suspension.

Sans parler des avances qui se font désirer, Céline pleure trois sous rue Sébastien Bottin ; et quand il s’en retourne on lui donne la charité voire il n’a même pas le droit de s’asseoir à la terrasse du Flore, tant il porte miséreux. Mais il s’en contrefiche Céline, il est ailleurs, et il a quelques véritables amis, comme Arletty ou Michel Simon…

Dérangé par un bruit dans le jardin, Céline découvre une jeune fille en train de le voler dans la cuisine. Elle cherche à porter secours à son ami, caché dans une serre quelques rues en contre-bas, ils sont recherchés pour vol. Le médecin au grand cœur ira le soigner, visitant par la présence du danger et de l’interdit, quelques réminiscences de son passé sulfureux que la légende amplifia. Oui, certain sujet mérite le silence… Il sait qu’il aurait mieux fait de se taire, mais c’est trop tard.

Céline écrivait comme il ressentait la vie, cette blessure qui l’invitait à creuser dans le sillon du soleil la réalité qui se dérobait ; Céline écrivait comme dans un rêve éveillé, parmi les jongleurs et les fous de Bruegel tapissant le décor éphémère de ses tribulations hors du monde.

En quelques cases habillement encastrées dans un maillage au trait ombré, esprit du fusain et perspective en sépia, l’ambiance happe le lecteur qui savoure les saillies de Céline, découvre les ravages d’un remords qui ne dit pas son nom et suit avec gourmandise les dernières heures de cet homme revenu de tout mais toujours en quête d’un signe, observant les décalages des postures dans cette réalité acerbe que la société des Hommes impose. Poète maudit noyé dans la prose romanesque, incendiaire des postulats civilisationnels, Céline séduit par son incroyable toupet à sans cesse jouer à contre-courant.
Une BD unique et littéraire qui salue l’homme en contre-champ de son œuvre.

Il y a du religieux chez Céline. C’est un homme qui ressent les choses sérieusement et qui, en étant empoigné, est contraint de crier sur les toits et de hurler au coin des rues la grande horreur de ces choses. Au moyen âge il aurait été dominicain, chien de dieu.
Drieu La Rochelle, Nouvelle Revue Française, mai 1941

 

François Xavier

 

Jean Dufaux & Jacques Terpant, Le chien de Dieu, 230x325, Futuropolis, novembre 2017, 72 p. – 17€

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