Les Comédies de Shakespeare entrent dans La Pléiade

Drôle Shakespeare ? 

À n’en pas douter, même si ses comédies doivent être perçues d’une manière particulière, avec un chapelet de précisions à étiqueter sur chacune d’entre elles qui deviennent alors des tragicomédies, des pièces à problèmes, des comédies du renouveau voire des romances. Il faut dire que notre homme a eu la main leste… La Pléiade consacrera trois volumes pour cette édition des comédies afin d’y présenter les dix-huit pièces essentielles. Il faut dire que les Comédies représentent presque la moitié du corpus des œuvres dramatiques de Shakespeare.

 

Déconcertant Shakespeare ? 

Assurément, si l’on en croit Anne Barton, si habile à s’orienter dans les labyrinthes de ce jardin anglais où la dramaturgie n’est pas la seule à structurer l’imaginaire. Oui, nous sommes déconcertés devant ses pièces extraordinaires et j’ai encore en mémoire ce joyeux bordel que fut La mégère apprivoisée montée par Jérôme Savary où des dizaines d’acteurs étaient sur scène en même temps ainsi que des animaux. Car l’on est d’abord statufié dans son fauteuil, la perplexité s’invite puis laisse place à la poétique comique et un jeu de scène désopilant…

 

Ce sont bien des comédies du renouveau, tant le merveilleux et l’enchantement de résurrections improbables – Hermione, Perdita, dans Le Conte d’hiver, Marina dans Périclès, ou les fils de Cymbeline – y président à un renouvellement du genre et du style de la comédie, dont La Tempête, pièce testamentaire, devait confirmer les promesses, à moins qu’elle ne soit elle-même un nouveau départ vers quelque renouvellement radical, nous précise Gisèle Venet dans sa note d’introduction.

 

Avec La Comédie des erreurs Shakespeare livre un récit pittoresque et libère les acteurs qui chahutent à grand bruit, mais tout cela n’est qu’un masque qui dissimule le thème de l’amitié qui porte toute la pièce. Thème cher à la culture savante propre à ces beaux esprits de l’époque… Mais tout cela est bien trop policé aux yeux de Shakespeare qui va, dès sa seconde pièce, Les Deux Gentilshommes de Vérone démontrer que l’amitié peut aussi être honteusement trahie par l’amour. Lequel peut se dépraver par l’influence de la triangulation du désir, assumant d’être en infraction avec la prescription d’amour unique scandée par les poètes pétrarquistes. Abandonnant celle qu’il a aimée au premier regard, Protée, dont le nom symbolise l’instabilité, enlève, séquestre, manque violer la femme aimée de Valentin, son plus cher ami… Shakespeare n’y va pas par quatre chemins ! Il ose transgresser les lois classiques du théâtre…

 

Le Songe d’une nuit, qui appelle à ma mémoire la chanson de Jérôme Pijon Mensonge d’une nuit d’été tant les deux sont des pièces ludiques, poétiques et laissent le spectateur rêver au jeu des apparences, montre un Shakespeare qui s’attaque au burlesque en insistant sur l’impossibilité de tout naturalisme dans les arts de la scène et sur la nécessité d’assumer tous les artifices de ceux-ci. 


No limit !, déjà mis en pratique en les exhibant comme tels… Pas moins de quatre départs d’intrigues se répartissent le commencement du Songe introduisant une ribambelle de personnages truculents qui, comme on le devine, se perdent dans le bois mais forcent l’admiration en parvenant à ne jamais se croiser. Aucun n’y rencontre les acteurs des autres intrigues ! Un coup de maître qui force l’admiration du spectateur qui n’entrevoit jamais l’amorce d’un dénouement commun, tant est grand et insolent le mépris envers la règle élémentaire qui veut qu’il y ait au moins un commencement et une fin à toute action : mais quand on s’appelle Shakespeare on peut tout se permettre…

 

Pour les anglophiles, un petit détail d’importance : cette édition est bilingue, page de gauche anglais, page de droite français.

 

Ce volume contient :

La Comédie des erreurs - Les Deux Gentilshommes de Vérone - Le Dressage de la rebelle [La Mégère apprivoisée] - Peines d'amour perdues - Le Songe d'une nuit d'été - Le Marchand de Venise

 

François Xavier

 

Shakespeare, Comédies, I – Œuvres complètes, V, coll. "Bibliothèque de la Pléiade n°591", édition bilingue publiée sous la direction de Gisèle Venet et Jean-Michel Déprats avec la collaboration de Line Cottegnies et Yves Peyré, traductions de Jean-Michel Déprats, Jean-Pierre Richard et Henri Suhamy ; volume relié pleine peau sous coffret illustré, Gallimard, septembre 2013, 1520 p. – 60,00 € jusqu’au 31 janvier 2014, puis 67,50 €

 

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