http://www.actes-sud.fr/

La Brûlure : Gisèle Bienne cicatrise enfin ses plaies

Figurez-vous qu’il en est des femmes écrivains comme des hommes : les rares spécimens qui valent le détour se comptent sur les doigts d’une main. Voici une digne compère de Claudie Gallay – et donc à l’opposée des niaiseries pondues par Katherine Pancol ou Anna Gavalda – qui vous emporte dès la première phrase dans un univers authentique, picaresque, rustre parfois, touchant souvent, à fleur de peau forcément…
Un récit en deux parties, dont la première, Marie-Salope, fut publiée en 1976, et impose donc de débuter la lecture en page 185 tant conserver la chronologie est primordiale.

 

Au sein d’une exploitation agricole, dans un petit village champenois, à la fin des années 1960, le lecteur suivra les désirs d’émancipation de Marie-Salope, souillon en mutation vers un idéal de poésie et de maturité en devenir. Coinçant sur les mathématiques, elle prend conseil auprès d’un aide-vétérinaire qui loue une chambre dans la maison en face de la ferme familiale. Elle a quinze ans, mais au-delà de ses formes naissantes et d’un appétit de vivre qui la dévore, ce sont plutôt les rudesses familiales, le manque d'amour criant, la tendresse écartée, la dureté du quotidien qui fragilisent Marie qui n’a qu’une envie : changer tout ça !

Or le monde paysan possède ses codes, ses règles, et le travail ne manque pas, si bien que l’idée saugrenue de repeindre la façade durant les vacances d’été n’emballe pas du tout le père, paysan bougon au cœur tendre, qui aurait tendance à s’intéresser plus à la nouvelle bonne des voisins qu’à sa femme enceinte pour la… cinquième fois.

 

Vingt-cinq ans plus tard, excommuniée à cause de la parution de Marie-Salope, le vilain petit canard revient néanmoins sur les lieux de son enfance suite à l’incendie qui a ravagé une grande partie du domaine. Malgré les avertissements elle franchira une à une les étapes d’une rédemption familiale qui aura raison de l’entêtement de la mère, s’étant sentie trahie, brocardée aussi bien par le livre que les langues de vipère du village qui ne manquèrent pas de piquer allègrement, mais la plaie finira bien par cicatriser…

 

Formidable diptyque littéraire qui (dé)construit, avec patience et précision, le long cheminement de la quête identitaire, l’impossible affranchissement de celle qui renonce à l’héritage ancestral pour tenter de voler de ses propres ailes. Porté par un style vif et poignant, saupoudré de détails et de dialogues ciselés dans le marbre de la pudeur, ces quatre-cents pages s’avalent le temps d’un après-midi. Lecture bourrasque qui ramène aux valeurs essentielles désormais dilapidée dans l’océan digital, une écriture qui plonge le lecteur au plus près du drame qui secoue la jeune fille en mal de vivre, le sacrifice d’un engagement voué à l’écriture (famille, mari) et l’apaisement enfin atteint à force d’abnégation.

Un livre qui réconcilie avec la vie, libérant quelques bouffées d'oxygène pur...

 

François Xavier

 

Gisèle Bienne, La Brûlure suivi de Marie-Salope, Actes Sud, coll. "un endroit où aller", mars 2015, 400 p. – 22,00 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.