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Patria : la guerre ou la paix en pays basque

Tout comme l’Irlande du Nord fut ravagée par la lutte entre l’Etat et l’IRA, l’Espagne dut subir les foudres d’ETA sous prétexte d’un pays basque qui aspirerait à l’indépendance. Mais il s’avère très vite que l’idéologie d’autodétermination, portée par quelques fanatiques, n’avait pas l’assentiment de la majorité de la population et qu’alors, tout comme en Corse avec le FLNC, la lutte politique devint un système mafieux qui s’attaquait en tout premier lieu à ceux qu’il était sensé défendre.
Racket, menaces, chantages, extorsions, tout le panel du parfait gangster se déploie sous couvert d’une culture du secret dans la pure tradition de la vie des petits villages où tout le monde se connaît, se juge, se regarde de travers, et chacun se tenant coi en ayant trop peur du quand dira-t-on

Très habilement conçu en une centaine de courts chapitres qui s’entrecroisent et mêlent histoire contemporaine et souvenirs, Fernando Aramburu dépeint l’implosion d’une cellule interfamiliale vouée à passer la vie ensemble – les deux meilleures amies du monde se mariant à quelques jours d’écart plutôt que de prononcer leurs vœux ; et les deux hommes devant de facto ami pour la vie – jusqu’à ce qu’ETA vienne extorquer le chef d’entreprise qui refusera et se verra mis au banc de la société avant d’être exécuté devant son garage.

Ce qui aurait pu n’être qu’un roman à sensations, un brûlot ou un polar de plus, enflamme les sens en scrutant chaque personnage au cœur même de leur ambigüité, de leurs trahisons – envers les autres mais surtout envers eux-mêmes – ou à l’inverse, les héros capables de s’arracher à la pression du village et à quitter cette terre qui ne mérite pas qu’on meurt pour elle sous de tels prétextes.
Par le truchement des récits ce sont les quarante dernières années de l’Espagne que nous scrutons, depuis les années de plomb du post-franquisme jusqu’en 2011, quand ETA dépose les armes : vies simple d’ouvriers, de paysans, d’entrepreneurs, mais vies riches dans ce quotidien qui impose l’ombre de la cause à laquelle certains apportent tout leur soutien quand d’autres la subissent par lassitude ou lâcheté…

Fernando Aramburu excelle dans le dessin de ses personnages qu’il libère totalement – certains récits se contredisant ou se complétant, les locuteurs se superposant, styles directs ou indirects mixés – les plongeant soit dans le romantisme de la lutte armée – à laquelle succombe les brutes en échec scolaire – qui leur promet une vie d’élu au service d’un idéal qu’ils ne comprennent même pas ; soit en donnant voix aux victimes silencieuses qui se terrent dans l’anonymat pour éviter toutes représailles, en nous ouvrant la porte des conversations de bars, les échanges furtifs dans la rue, les veillées dans les maisons silencieuses.
Dans un souci du détail et par le jeu des contraires, quand les deux femmes se déchirent – l'une adhérant soudainement à une cause quelle trouvait ridicule puisque son idiot de fils aîné à rejoint ETA tandis que le dernier s'isole dans les livres ; l'autre devenant une pestiférée puisque son mari est la cible de menaces –  les enfants tentent de maintenir le fil de l'amitié et surtout décident de suivre leur propre voie, loin des diktats politiques qui ne les intéressent pas. Conflit de générations sous couvert de maintenir coûte que coûte le lien familial et d'aspirer à un quelconque pardon, une amnistie pour les prisonniers quand les plaies des victimes ne sont pas encore cicatrisées...

Le premier point s'avéra non seulement ingrat, mais difficile, car il se rendait compte qu'il dérangeait le patron du bar. Le second n'eut même pas lieu, car Nerea était bien décidée à ne pas affronter la réalité physique de la mort de son père. Ah, c'est donc ça ? Dans une dernière réaction de dépit, sa mère déclara à Xabier que cela lui était égal, Nerea n'avait qu'à vivre sa vie comme elle allait vivre la sienne, et d'ailleurs :
–  Tu sais quoi ? Je ne crois plus en Dieu.


Bienvenue dans le chaos, mais un chaos si adroitement ajusté que la fiction littéraire surpasse la réalité et nous rend compréhensible l’authenticité d’une époque. Salué par de nombreux prix, le roman est en cours d’adaptation par HBO pour une série télévisée qui devrait certainement avoir le même succès que Mafiosa.
Six cents pages qui se dévorent en un clin d’œil, à l’image du dernier Paul Auster preuve que désormais les véritables bons romans ne sont plus ces plaquettes ridicules qui ont trop longtemps dénaturé les étals des librairies…

 

François Xavier

PS - On regrette la très mauvaise idée de l'éditeur de rassembler toutes les notes de bas de page... en fin de volume : toutes les insertions en langue basque, sensées donner un peu de couleur au récit, en deviennent pesantes en imposant un sempiternel aller-retour à la fin du volume qui... pèse son poids... rendant la lecture parfois fastidieuse au point qu'on laisse parfois couler en devinant de quoi il en retourne.

Fernando Aramburu, Patria, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, Actes Sud, coll. "Lettres hispaniques", mars 2018, 624 p. – 25 €

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