1870, une année pas comme les autres…


Catherine Salez et Jean-Jacques Vergnaud vivent à l’île de Ré. Ces passionnés d’histoire ont choisi de raconter l’année 1870. Une année terrible : un hiver des plus rudes, la fin au règne de Napoléon III, la défaite de Sedan. Le colonel Jacques Auguste, marquis de La Mérante, officier d’ordonnance de l’empereur Louis-Napoléon III, et sa jeune épouse Clara, sont les premiers témoins du basculement politique qui bouleverse Paris et le pays tout entier. Durant cette année « horribilus », se croisent Mac-Mahon, Thiers, Bazaine et Favre, l’impératrice Eugénie et Bismarck, Hugo et Dumas… Ce livre truffé de détails, fort bien documenté, vous permettra de découvrir la société du Second Empire, de mieux comprendre cette période où tout a basculé. Les auteurs réhabilitent Louis-Napoléon, personnage complexe. Le dernier empereur.

 

Pourquoi avoir choisi l’année 1870 ?

Catherine Salez et Jean-Jacques Vergnaud : Parce qu'elle met fin au règne de Napoléon III après 18 ans deux mois et 29 jours d'Empire et 3 ans 11 mois et 12 jours de présidence de celui qui n'était alors que Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la Seconde République française (la première ayant été dirigée par un Directoire exécutif de 1795 à 1799). Parce qu'en toutes choses on ne retient que le début et la fin. Louis-Napoléon n'a pas eu de chance, car entre les deux dates du début et fin de son règne, il fut pris en sandwich entre Hugo et Zola les deux plus grands écrivains de France qui n'ont retenu que le coup d'État du 2 décembre 1851 et la gigantesque fatalité de Sedan le 1er mars 1871, avec proclamation de la Troisième République le 4 septembre 1870. Cette année marque la fin du dernier empereur français. Il n'y en aura plus jamais d'autres.

 

Quelle est la situation de la France ?

C. S. et J. J. V. : Elle était brillante et joyeuse, en progrès dans tous les domaines techniques et sociaux – les ouvriers furent dotés de droits syndicaux, de grève, de caisses de mutualité et de retraite, sans parler de la liberté de la presse. À tel point que toute l'Europe venait la visiter et s'en inspirait comme en atteste la Vie parisienne d'Offenbach. Parallèlement aux fêtes impériales, le pays connaissait une grande prospérité. De 1851 à 1869, Paris à l'initiative de l'empereur, changea du tout au tout, à l'image du pays à qui la capitale donnait le ton. Rétablissement du suffrage universel, politique des transports pour désenclaver les campagnes (le réseau ferroviaire s'augmenta de près de 10 000 kilomètres et le nombre des voyageurs dépassait cent millions tandis que le poids des marchandises transportées atteignait les cinquante millions de tonnes, grâce à quoi les villes de province se modernisaient, se développaient et l'échange des marchandises dans tout le pays créait une dynamique favorable à l'emploi, chemin de fer de ceinture pour desservir les banlieues, réseau fluvial- système Frécinet toujours en fonction - routes principales entretenues, etc. L'exportation allait bon train grâce à une flotte marchande dotée de plusieurs centaines d'unités. Des lignes régulières furent établies : Compagnie  des Messageries Impériales pour l'Afrique, le Moyen- Orient et Extrême-Orient et Compagnie Générale Transatlantique pour les Amériques. Partout des usines voyaient le jour où il se fabriquait de nouveaux produits. Certaines usines comme Le Creusot employaient plus de 10 000 ouvriers. L'électricité supplantait le vieux système à gaz. On asséchait les marais insalubres de la Brie, des Landes, de Sologne qui devinrent cultivables. Les livrets de Caisse d'épargne avaient doublé et le volume des titres échangés en bourse en 1869 atteignait le chiffre de trente-cinq milliards or. Création des grands magasins, Bon Marché, Le Printemps et la Samaritaine. Création de trottoirs, de balayeuses mécaniques, éclairage des rues, avenues pavées, impériales à prix fixe dans l'intérêt des usagers, égouts, aqueducs.) En vingt ans, l'empereur décupla la fortune nationale : expositions universelles de 1855 et 1867 et créa le Paris d'Haussmann. En révolutionnant l'économie et l'industrie de la France, l'empereur voulait rendre au pays sa puissance  ruinée par Waterloo. Il a fait la France moderne telle qu'on la connaît aujourd'hui.

 

Quels furent les rôles de Mac-Mahon, de Thiers, de Bazaine et de Favre ? Qui étaient-ils exactement ? 

C. S. et J. J. V. : Mac-Mahon fut loyal, glorieux et courageux. Bazaine fut traître par deux fois, une fois au Mexique et une fois en 1870 en se repliant sur Metz privant ainsi l'armée française de milliers de soldats qui eussent pu changer le sort de la guerre. Il sera condamné à mort et sa peine commuée en détention à vie. Évadé, il terminera ses jours à Madrid. Thiers, journaliste et académicien finira chef du pouvoir exécutif en 1871 et négociera la paix avec Bismarck. Il lui cèdera l'Alsace et la Lorraine et cinq milliards d'indemnités. Puis il commettra l'erreur de s'installer à Versailles et de faire retirer les canons de Paris, ce qui aura pour conséquence le drame de la Commune. Favre, appelé « Favre l'affameur » par le peuple, ouvrira les portes de Paris aux Allemands ( il avait promis le contraire et quand on l'accusa d'avoir cédé, il se justifia en disant « Il fallait bien mentir au peuple »). Il avait une conception toute personnelle de la démocratie et de la république. Par ailleurs, il se livrera au marché noir pour s'enrichir. Courageux, il démissionna après le 2 août 1871 ! Le moins qu'on puisse dire, c'est que ces messieurs de la Troisième République qui avaient à leur façon usurpé le pouvoir, s'étaient très mal comportés et haïssaient tellement l'empereur qu'ils se chargèrent de le faire oublier. Ils réussirent si bien que celui-ci passe encore de nos jours pour un fantaisiste coureur de jupons et est fort mal connu. Mais comme le fera remarquer, à l'époque,  Saint-Marc Girardin, agacé par un détracteur de l'Empire : « Vous ne me ferez pas croire, malgré tout, que 36 millions de Français se soient laissés gouverner pendant 18 ans par un imbécile »

 

Parlez-nous de l’impératrice Eugénie lors de cette année ?

C. S. et J.J. V. : L'Impératrice qui avait poussé Napoléon III dans la guerre contre la Prusse, fut régente en août 1870 et dut prestement quitter Paris au lendemain de la capitulation de Sedan le 2 septembre. Influencée par ses ministres, elle n'acceptait pas qu'un Bonaparte puisse capituler (l'oncle avait bien capitulé par deux fois). Elle eut sa revanche en apprenant la victoire de la France sur l'Allemagne puisqu'elle mourut en 1920. Malgré ses maîtresses, Napoléon n'avait d'oreille que pour elle et l'adorait. Mais comme il avait du sang et qu'elle lui fermait sa porte (elle n'aimait pas les « choses du sexe qu'elle trouvait dégoûtantes »), il fallait bien que l'empereur trouve des compensations ailleurs.

 

Quelles furent les publications d’Hugo et de Dumas ? De leur engagement politique cette année-là ?

C. S. et J. J. V. : Hugo exilé volontaire, bien qu'il fut rappelé au pays par l’Empereur, rancunier parce qu'on lui avait refusé un poste de ministre, eut ce mot cruel de « Napoléon le petit » qui colle encore injustement à la mémoire de Napoléon III. Les Dumas père et fils, excellents écrivains ne jouèrent pas de rôle prépondérant durant les dernières années de l'Empire. Alexandre père mourra en 1870. Ses cendres seront transférées au Panthéon en 2002. Le fils, connu pour son roman La dame aux camélias, qu'il portera à la scène, mourra en 1895.

 

Les conséquences de la défaite de Sedan ?

C. S. et J. J. V. : Elles sont nombreuses. Pour n'en citer que quelques unes, il y aura l'entrée des vainqueurs qui occupèrent Paris , l'énorme dette de guerre, la Commune, la famine, l'unification allemande par Bismarck interposé, la perte de l’Alsace et la Lorraine, d'où la sanctification de Jeanne d'Arc (on s'empressera de la déclarer lorraine lors de la montée du pangermanisme, de la béatifier en 1909 et de la canoniser, dans la foulée en 1920, pour en faire une héroïne française, l'icône de la lutte contre l'envahisseur en exacerbant le sentiment national et pouvoir chanter: « Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine »). Les régions annexées seront récupérées après l'armistice de la guerre de 14-18 et un petit teigneux revanchard, un certain Adolf Hitler,  n'aura de cesse de vouloir nous les reprendre. Mais comme il perdra la guerre, il y aura la conférence de Yalta, un partage du monde par les vainqueurs et le fameux document rédigé par Churchill sur un méchant petit bout de papier, partage aléatoire de cette partie du désert, dont les prolongations se jouent encore entre Israël et la Palestine. Toutes ces conséquences paraissent lointaines et pourtant elles découlent en droite ligne de 1870, comme les conséquences de Sedan découlent du temps où Napoléon Ier avait occupé Berlin et s'y était très mal comporté. Sous Louis XIV l'ennemi c'était L'Espagne. Grâce à Napoléon Ier, ce sera désormais l'Allemagne jusqu'à la victoire de la France.

 

Comment avez-vous travaillé à deux ?

C. S. : Jean-Jacques Vergnaud a écrit une pièce de théâtre Le portrait qui a été créée en 2008  pour le bicentenaire de la naissance de l'Empereur. J’ai eu l'idée d'en faire un roman historique à partir de la somme de documentation recueillie. C'est ainsi qu'ont été créés les deux personnages : le colonel Jacques-Auguste de la Mérante, ordonnance de l'empereur et sa jeune épouse Clara. Ce sujet tenait à cœur à Jean-Jacques parce qu'il souhaitait réhabiliter cet empereur nourri d'idées libérales, mal connu et mal aimé, sensible et généreux, instinctivement porté à secourir les plus faibles. Et parce que l'arrière grand-père de Jean-Jacques Vergnaud (côté maternel) était un fils naturel de Napoléon III; se plait à dire qu'il a une goutte de sang des Beauharnais par cocotte notoire interposée, laquelle avait été limogée (envoyée à Limoges d'où le berceau familial maternel de Jean-Jacques. Ce fils ressemblait tant à l'empereur que tout le village l'appelait Badinguet, sobriquet dont on affublait Louis Napoléon depuis son évasion du Fort de Ham grâce à la complicité d'un ouvrier nommé Badinguet. Ancêtre que Jean-Jacques a connu dans sa petite enfance, car il vécut très vieux. L'écriture s'est faite à quatre mains (dans les cris et hurlements...) durant trois ans.

 

Parlez-nous de la maison d’édition que vous avez créée ? Que publiez-vous ? Quelle en est la ligne ?

J. J. V. : Catherine Salez a créé en Novembre 2012 les Editions du Torrent dont la première parution en décembre a été Une vie de chien livre de dessins humoristiques que j’ai fait. Trois collections sont prévues : littérature générale (romans), image (photographie, peinture, dessins) et essais. La prochaine parution est prévue en octobre 2013 et sera un roman écrit par une Brésilienne.

 

Vous vivez à l’île de Ré, qu’aimez-vous là-bas ?

C. S. : C'est un choix de vie que nous avons fait en 1999, date de la tempête ! La famille Vergnaud y est implantée depuis les années 1930 (père, frère, maires de Rivedoux, conseiller général). La vie n'y est pas si douce que cela, car il existe une vraie communauté de dix communes à caractère très marqué, mais les lumières y sont sublimes pour le peintre qu'est Jean-Jacques Vergnaud. J’y ai fondé la radio Soleil de Ré.

 

Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson (mai 2013)

 

Catherine Salez, Jean-Jacques Vergnaud, 1870 : L’année terrible,

Éditions de l’Opportun, 380 pages, 22,90 €

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