Interview. Éliette Abécassis : « J’ai vécu avec Freud pendant quatre ans d’écriture »


1938, à Vienne, en pleine montée du nazisme, Sigmund Freud réunit la Société psychanalytique pour une cession extraordinaire. Sa famille et surtout Marie Bonaparte tentent de le convaincre de fuir l’Autriche. Pourquoi hésite-t-il ? Quel secret renferme la lettre trouvée par son fils ? De son écriture limpide, Eliette Abécassis redonne vie à Freud, ce Sherlock Holmes, enquêteur de l’âme humaine. En empathie avec le père de la psychanalyse, elle éclaire ses liens avec Marie Bonaparte, ses découvertes prodigieuses, sa personnalité complexe, le rendant terriblement attachant, tellement humain qu’on a l’impression de côtoyer un ami, un grand-père bienveillant. Avec beaucoup de précision, Eliette retrace aussi une des périodes les plus noires de notre histoire, avec sa barbarie qui resurgit aujourd’hui. Un livre poignant, passionnant, l’un des meilleurs sur Freud.

 

Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur Freud ?

Depuis toujours je m’intéresse à Freud car j’ai une mère psychanalyste qui m’a élevée pour ainsi dire avec lui, comme un personnage de la famille.  Plus tard, j’ai fait dix ans de psychanalyse. La psychanalyse fait partie de ma vie.

 

Pourquoi avez-vous choisi cet épisode de sa vie, sa fuite de l’Autriche ? Aviez-vous déjà étudié la vie de Freud ?

Pour écrire ce livre, je me suis beaucoup documentée. Freud a écrit des milliers de lettres, il y a les biographies sur lui, ainsi que les essais. J’ai choisi cette époque où le vent de la barbarie souffle sur un pays civilisé, car elle me rappelle la nôtre. Nous voyons apparaître à nouveau le spectre du fascisme, sous une forme religieuse, et nous avons besoin de Freud qui en de temps barbares, a toujours recherché l’humain.

 

Comment avez-vous pu vous mettre « dans la peau » du vieux Freud, de  ce qui le hante, de son fétichisme... ?

J’ai vécu avec lui pendant quatre ans d’écriture. Nous sommes de vieux amis. Il me guide. Pour écrire ce livre, j’ai entendu sa voix, comme s’il me parlait. J’ai souvent été dans sa maison de Londres, au 20 Maresfield Gardens, où l’on peut sentir sa présence. A chaque fois que j’y vais, cela me donne des frissons.

 

Quels liens unissent Marie Bonaparte et Freud ? Pourquoi tient-elle tant à ce qu’il quitte Vienne ?

Marie Bonaparte a été psychanalysée par Freud à cause de son problème de frigidité. Elle a développé pour lui ce que l’on appelle le transfert : il était à la fois son psychanalyse, son ami, son père, son époux, tous les personnages de sa vie. Elle l’aime et l’admire profondément ; c’est elle qui introduit la psychanalyse freudienne en France. Elle veut sauver sa vie comme il a sauvé la sienne.


Comment avez-vous pu reconstituer cette période de la vie de Freud, ses hésitations à partir ? Mais aussi cette époque terrifiante dominée par les Nazis, ces assassins. Quelles sont vos sources ?

Mes sources sont les livres d’histoire, les lettres de Freud, et tout ce qui peut m’aider à décrire la vie quotidienne. J’ai visité la maison de Freud à Vienne, qui est vide, puisqu’il a tout emporté à Londres. Mais j’ai pu l’imaginer vivre de nombreuses années dans cet appartement qu’il avait aménagé avec tant de soin, avec toutes ses statues. Je me suis penchée sur cette période sombre de l’histoire sur laquelle on croit tout connaître, et pourtant on reste toujours confondu lorsqu’on apprend par exemple, que les nazis avaient soin de dépouiller les Juifs de leurs biens et leurs avoirs avant de les déporter, comme Sauerwald voulait le faire avec Freud.

 

L’obsession de Freud de retrouver une lettre qu’il écrivit à son ami Fliess, contenant un secret est-elle vraie ? Que révèle-t-il sur une part de l’intimité du maître de la psychanalyse ?

Freud a brûlé toutes les lettres que son ami Fliess lui avait envoyées. Et il voulait ardemment récupérer celles qu’il lui avait envoyées  et qui étaient détenues par sa femme, depuis qu’il était décédé. Ces lettres contenaient des secrets, et des révélations sur le père de la psychanalyse, qui offre un éclairage nouveau sur son enfance.

 

Qu’avez-vous découvert sur cet homme sur lequel on a tant écrit et qui fut lui-même un grand écrivain ?

J’ai découvert une personnalité complexe, tourmentée, et un homme guidé par un seul but : comprendre le secret de l’Homme. Ce qu’il recherchait à travers les hommes. Guidé par son extrême humanité et cette « attention bienveillante » qui est l’attitude des psychanalystes envers leur patient, il n’a eu de cesse de percer le mystère de l’homme. Il entrait au plus profond de l’âme de chacun. En cela, il me bouleverse.

 

Que pensez-vous de son travail en tant que psychanalyste ? Avez-vous eu des réserves ou, au contraire êtes-vous une adepte absolue ?

Je suis une adepte, depuis toujours. Et depuis que j’ai écrit sur Freud, après toutes ces recherches, je l’aime davantage.

 

Comment réagissent vos lecteurs ?

Ils aiment entrer dans l’intimité du personnage et voir la psychanalyse à l’œuvre. Pour eux, c’est une façon de s’initier à la pensée freudienne tout en lisant un thriller. Car Freud lui-même se comparait à Sherlock Holmes : il est l’enquêteur de l’âme humaine.

 

Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson (octobre 2014)

© photo : Frédéric Chiche

 

Éliette Abécassis, Un secret du docteur Freud, Flammarion, août 2014, 192 pages, 18 €

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