Saint Georges regardait ailleurs et le Liban s’embrasa

Tristement d’actualité, ce roman d’une époque peut aussi se lire comme une étude socio-politique d’une société qui continue à partir à vau-l’eau tant elle demeure ancrée, inexorablement, sur des idéaux dépassés. Les querelles qui déstabilisent le Liban actuellement sont les mêmes qui ont mis le feu aux poudres en 1975. À l’époque ce furent les Palestiniens qui servirent de bouc-émissaire et furent la goutte d’eau par laquelle le vase trop plein d’un confessionnalisme féodal poussé à l’extrême se déversa sur la tête des citoyens pris dans une nasse guerrière. Aujourd’hui, ce sont les sunnites fondamentalistes qui embrasent les haines sous couvert des événements syriens. Mais la raison est toujours la même : la haine de l’autre vu uniquement par le prisme de sa religion.

 

Hé oui, la bêtise crasse de l’être humain qui continue à s’enferrer dans le dogme n’aura donc jamais de fin. De l’Égypte à la Tunisie, de la Turquie à l’Irak les barbus affolent les consciences, et le recours à la force va encore démontrer que de solution intelligente point n’est possible sans une éradication définitive du cancer extrémiste. Et cela vaut aussi bien pour les deux autres religions, qui en Israël, qui en France avec les dérives de certains curés lors du mariage pour tous. Bref, amis laïcs serrons-nous les coudes…

 

Jabbour Douaihy nous avait déjà enchantés avec le décalage pratiqué dans son écriture lors de la lecture de Rose Foutain Motel (2009) et il récidive ici. Pratiquant l’art de l’absurde, il met en lumière l’impossible dérive d’un libertaire au pays des interdits. Muni d’un nez rouge, son héros, Nizam, né musulman reconverti chrétien, s’en va à Beyrouth pour étudier. Mais la vie facile découlant d’un père adoptif richissime et d’une rencontre du hasard qui lui offre un appartement en sous-location dans l’un des quartiers les plus agréables de la capitale, avec vue sur la mer, fera que les bonnes résolutions s’en iront en fumée. Pratiquant l’hospitalité sans limite, des fils de bonne famille viendront se réunir toutes les nuits pour imaginer le Grand-Soir, à l’image de ce que fut la flambée des idéaux révolutionnaires au lendemain de la guerre des Six-Jours quand les héritiers des grandes familles rejoignirent les rangs de la Gauche pour dénoncer le système.

 

Allant de désillusions en rendez-vous ratés (sa sœur, sa petite amie, ses frères, etc.) Nazim brûlera ses ailes sur l’autel de la raison écartelée entre les desseins politiques de ses frères arabes qui s’octroyèrent le droit de penser pour les autres, introduisant au sein de la société civile des codes religieux incompatibles entre eux ; et l’amour d’une belle jeune femme qui peint pour oublier qu’elle est folle. La guerre civile écartèlera la ville phénix, Nazim perdra tout, jusqu’à sa vie, dans un déluge de quiproquos digne d’une nouvelle de Kafka.

 

Un livre miroir qui serait de bon aloi d’imposer dans le cursus scolaire libanais afin que les nouvelles générations sachent enfin que derrière la religion il y a d’abord un libanais et que c’est uniquement cela qui compte : il n’y a donc aucune raison de vouloir sa mort…

 

Enfin, pour être définitivement précis dans notre commentaire, on rappellera à la traductrice (et aux éditeurs qui sont en charge du contrôle qualité) que la monnaie en cours au Liban n’est en rien la lire, mais bien la livre. Un détail d’une lettre qui fait toute la différence…

 

François Xavier

 

Jabbour Douaihy, Saint Georges regardait ailleurs, traduit de l’arabe (Liban) par Stéphanie Dujols, Actes Sud/Sindbad/L’Orient des livres, avril 2013, 348 p. – 23,80 €

2 commentaires

anonymous

"Enfin, pour être définitivement précis dans notre commentaire, on rappellera à la traductrice (et aux éditeurs qui sont en charge du contrôle qualité) que la monnaie en cours au Liban n’est en rien la lire, mais bien la livre. Un détail d’une lettre qui fait toute la différence..."

Merci pour cette remarque. C'est un arabisme, j'en ai commis de pires, tous impardonnables. D'habitude, les services de correction les repèrent. Auraient-ils trouvé, là, inconsciemment, que cette chose obsolète et déplacée ne sonnait pas si mal... Je plaisante. Vous avez raison d'être agacé. Mais cela ne justifie pas votre ton supérieur et professoral ("on rappellera à la traductrice"). L'erreur est humaine, regardez, par exemple :
"
Un livre miroir qui serait de bon aloi d’imposer dans le cursus scolaire libanais" (au lieu de : "qu'il serait de bon aloi d'imposer")
"un libanais", plutôt qu'un Libanais.
Ne tirez pas sur la traductrice avant de vous relire.
Je n'aime pas vous parler à mon tour sur ce ton, mais vous m'avez piquée au vif... Pas à cause de cette lire, qui décidément ne me gêne pas plus que ça (moins que certaines répétitions malvenues que j'ai remarquées après la publication du livre, et qui me font encore mal au ventre), mais de... (je ne veux pas me répéter).

ce livre vient d avoir le prix littéraire de la jeune littérature arabe