Documents inédits ! James Joyce ou les Brouillons d’un baiser

J’ai toujours aimé les constellations, ces brouillons de galaxies en milliers d'étoiles, illuminations de la nuit d’été que l’on devine à force de plisser les yeux striés de fatigue, la tête renversée sur le transatlantique, bien calé dans les coussins, luttant contre le sommeil, bercé par les grillons qui parient avec insolence sur l’heure de votre capitulation, car ne vous en déplaise, la nuit est rarement blanche. Ainsi en va-t-il de mes étés provençaux dans l’accompagnement de mes lectures dites de repos pour ne pas dire de survie car, après s’être littéralement noyé dans la bile germanopratine publiée à longueur de pages illisibles mais publiées quand même du seul fait que le nom ronfle bien sur la couverture, il faut un bain salutaire, une trempette de jouvence dans l’huile rassurante des grands écrivains. J’ai donc passé l’été avec Joyce et ses mille pages d’un Ulysse recouvré par le biais de cette nouvelle traduction – qui date déjà de quelques années – si riche en plaisir de lecture, enfin dégrippée des scories pompeuses de la première qui s’écoutait en sous-marin distiller le venin de la supériorité, lisez donc ce texte illisible et frimez quand désormais l’on peut totalement savourer dans un petit péché ludique un texte totalement hallucinant. D’ailleurs c’est bien toute l’œuvre de Joyce qui est hallucinante !

 

Gageure donc que ce pari de traduire le monstre de Dublin, défi audacieux que Marie Darrieussecq a relevé avec dextérité, finesse et élégance, disposant astucieusement les mots dans un ordre précis, trouvant l’équivalent d’une trouvaille joycienne intraduisible mot-à-mot (par exemple shehusbands), puisant dans la poésie le reflet indispensable à la langue transposée.

 

« J’imagine que j’aurai environ onze lecteurs », disait Joyce en 1926 : or, si Finnegans Wake est réputé le plus illisible il est paradoxalement le plus lu… Le lecteur veut-il inconsciemment sortit, lui aussi, de l’ombre d’Ulysse ? Nonobstant, en se positionnant exclusivement d’un point de vue littéraire, l’Histoire montre une évidente continuité entre ces deux grands livres. Après les audaces d’Ulysse qui témoignent d’une transformation radicale chez James Joyce (après Gens de Dublin et Portrait de l’artiste en jeune homme), l’aventure stylistique se poursuit en radicalisant encore l’approche en jetant son dévolu sur la légende de Tristan et Iseult qui, outre l’aspect adultérin qui pourrait l’attirer, possède également un volet inattendu : Iseult est une princesse d’Irlande. Et Joyce a toujours affirmé que son inspiration était locale…

 

Mais attention, ici, comme l’indique le titre, il s’agit d’esquisses, d’ébauches, de brouillons : donc en aucun cas de ce qui fut définitivement retenu par Joyce, c’est aussi là tout l’intérêt de ces textes épars, de voir au plus près le travail minutieux de la composition, de la quête d’un écrivain dans l’ébullition de son esprit en maraude sur les chemins tortueux de la création. Ces vignettes ne sont en rien faisant partie de l’œuvre de Joyce ; mais les premiers germes d’un des plus beaux chapitres de Finnegans Wake. Ce sont donc des documents, ce qui n’en retire en rien le plaisir de la découverte.

 

François Xavier

 

James Joyce, Brouillons d’un baiser – Premiers pas vers "Finnegans Wake", réunis et présentés par Daniel Ferrer, préface et traduction de l’anglais par Marie Darrieussecq, Gallimard, coll. "du monde entier", novembre 2014, 136 p. – 14,90 €

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