Découvrez les poètes du boudoir : "Éros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française"

Puisque la poésie est le plus haut degré de la langue, qu’elle culmine au zénith de la syntaxe et que le logos n’a plus aucun secret pour elle, pourquoi, diable, ne pourrait-elle pas s’offrir le luxe de l’érotisme ? Sous quel prétexte devrait-on interdire aux poètes de déclamer, de psalmodier, de chanter à la criée leur appétence sexuelle, leur libido dévorante, leurs hommages au beau sexe, leurs dérives perverses, leurs fantasmes les plus débridés ?

Voilà que la réponse a déjà été formulée depuis les siècles des siècles, et de tous les coins du monde, depuis des centaines et des centaines d’années, le troubadour, le griot, le poète, le chantre, tous se sont essayés, avec plus ou moins de succès, aux vers érotiques, à la déclinaison salace, à la pornographie rimée...

 

N’oublions pas, comme nous le rappelle Salah Stétié (L’interdit, José Corti, 1993, p.30) qu’il « n’est pas de sens en poésie qui soit déterminatif, qu’il n’est pas de lièvre du sens qui ne déboule dans le fourré de l’être pour, à l’instant où semble s’effectuer sa prise, ne nous échapper à nouveau pour, admirablement, vivre de sa vie propre qui est la seule vie en poésie dont il est capable. Le sens du poème nous est retiré par le don même du poème et pour que soit le poème. Où le poème fait du sens sa proie, où le sens fait sa proie du poème – meurt le poème. Poème est la parole qui, de la nuit qui la cerne et qui l’habite, vise éperdument une proie invisible qui donnerait enfin un sens et aussi bien une direction à cette longue veille, à cet interminable guet. »


Zéno Bianu a fait le tri pour nous, en plaçant son curseur au tout début du XVIe siècle. Accrochez-vous, le canapé dans lequel vous vous serez bien campé pour lire cette anthologie risque bien de tanguer plus souvent qu’à son tour. Mais c’est bien de frissons qu’il est ici question, d’émoustillement, de palpitations, de plaisir de la langue et du palais, d’un cœur qui s’emballe et de picotements dans le bout des doigts. Sinon quoi ?

 

Trou du cul de la Bien-Aimée

Te donnerai-je un nom de fleur

Lorsque ta matière embaumée

Se répand dans ma bouche en cœur

C’est toi, petit, que je préfère, 

Mais j’aime aussi que ton voisin

Jute, jute comme un raisin

Afin que je me désaltère.

Ce sont là mes plus chers mignons, 

Je leur donne ce qu’ils demandent

Des fruits fourrés et qu’ils me rendent

Tout imprégnés d’exhalaisons,

Gloire à ces deux trous brun et blond.

(Louis de Gonzague Frick)

 

Voilà bien, une nouvelle fois, la magie de la poésie révélée, confirmée, avec cette suite de poèmes totalement hallucinants, preuve supplémentaire de la force des mots, car c’est bien d’eux dont il s’agit ici, ces fameux mots mis dans un certain ordre qui permettent, uniquement dans l’art de la poésie, de déclamer quelque chose de précis sans en avoir l’air, de formuler une trame musicale dans une langue, d’imposer des images et du sens... 

 

Quand on aime la poésie, on aime les mots ; quand on aime les mots, on aime qu’ils parlent d’amour, sous toutes ses formes, les plus grivoises comprises. Car l’amour des mots porte à l’amour des hommes, à cet érotisme du quotidien qui glisse entre nous à chaque mouvement, feulement d’un bas de soie, écarquillement d’un regard, souffle dans les cheveux, se met alors en branle la machine des mots qui signale et rappelle ce qui vient d’être constaté, l’amplifie, le magnifie et le sublime dans un poème.

Tous nous le faisons presque sans le savoir...


Car depuis les libertins du début du XVIe siècle, l’érotisme et la sensualité sont le moteur du monde. « Le sexe, impudique, inouï, solaire, imprègne tout, offre une autre intelligence des êtres et des choses. La volupté afflue de toutes parts au sein d’un cosmos qui s’affole », nous rappelle Zéno Bianu dans sa préface.

 

Ainsi, c’est le moment présent qui compte, le regard que l’on porte, ce que l’on partage...

 

L’œil de la raison

Chavire et valse

Et le signe d’entre les jambes des femmes

S’ouvre
Pour les fleurs d’or de la justice.

(Georges Ribemont-Dessaignes)

 

Ici donc sont rassemblés trois cent cinquante poèmes qui déclinent la volupté sous toutes ses facettes : cinq siècles de poésie française abordés sous l’angle des sens, de l’élan vital, de la frondaison, des parties fines, de la jouissance. Avec un dernier texte sur l’extase féminine, écrit par une jeune poète (1970) qui n’a pas sa langue dans sa poche... 

Ouvrez au hasard, baladez-vous dans ce florilège du chavirement, découvrez les éclats les plus singuliers que la langue française se soit offerte. Poésie mais aussi prose, parfois, partie prenante néanmoins du champ poétique, une lettre d’Artaud, une étincelle de Rimbaud, un poème de Baudelaire ou de Michaux... De Ronsard à Verlaine, de Genet à Sade, de Louise Labé à Joyce Mansour, de Jouve à Calaferte, de Michel Leiris à Bernard Noël...


Sans oubliez Sophie Loizeau qui à partir d’une fente

naturelle à la roche ma vulve très nettement au centre

de mon corps écrit à l’oxyde de manganèse comme ils me voient
omphalos de leur terre fertiles consommateurs de déesses
ils lèchent cette lézarde depuis des temps
immémoriaux y introduisant leur langue
même ils se fendent d’un lièvre - en dépôt à mes pieds - plus 
rarement d’un python
ils usent leur salive à me parler d’eux seul le soleil en alternance
avec le gel pénètre jusqu’à mon cœur.


François Xavier

Éros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française, édition de Zéno Bianu, Poésie/Gallimard, février 2012, 633 p. - 12,50 €

2 commentaires

merveilleux 

anonymous

J'achèterai. Merci.