"Remington" ou la rentrée colorée de N’Dongo

Mon nom est une couleur

 

Il est amusant de voir comment deux auteurs parviennent à dialoguer tout en publiant deux romans différents (même éditeur, collection différente). Cela l’est d’autant plus quand on sait qu’il y eut une petite révolution de palais au sein de feu la rue Bottin, quand il fut acté qu’il n’y aurait qu’une seule rentrée littéraire consacrée : celle de la Blanche. Exit les autres collections. C’était sans compter sur l’entregent de Mamadou Mahmoud N’Dongo et sa volonté sans faille pour tenter de faire plier les cadres du marketing aux idées fumeuses : quel fait du prince pour orienter ainsi, et surtout continuer à cataloguer ? Doit-on demeurer à vie dans Continents noirs sous prétexte que l’on est africain ? La réponse est non sans hésiter, et ce roman porté par la grâce le confirme. Voilà un droit d’inventaire encapsulé dans une trame romanesque où l’épique se surprend à ouvrir des parenthèses, où la sociologie s’éprend d’humour noir, où la caricature dessine les avatars de nos contemporains si bien dissimulés sous des pseudos qu’ils en finissent par croire à tout ce qu’ils racontent. Or, la vie n’est pas celle affichée sur Facebook, et son cortège d’amabilités n’est en rien le reflet des turpitudes de nos âmes endolories. Mais pour le comprendre il faut accepter de jouer le jeu avec un minimum d’honnêteté ; ce qui n’est plus le cas de beaucoup de nos contemporains, fidèles de la secte Apple ou des contractions du marché boursier qui, seuls, donnent le la d’un quotidien bien vide…

 
Philippe Djian aura braqué son projecteur introspectif sur les soubresauts du désir quelque soit le cadre, et "Oh !..." sera l’un des moments phares de cette rentrée. Mamadou Mahmoud N’Dongo l’accompagne dans cette enquête de notre Moi surévalué et détourné par le système que nous contribuons à instaurer en prenant soin de feindre de ne pas nous en rendre compte… Du clin d’œil du titre (un mot, un seul) au style, désormais plus percutant que jamais, à l’incise, la digression voire la chute, ces deux-là sont désormais frères de sang. On saluera ici la maîtrise du rythme et la continuité dans cette patte unique que N’Dongo persiste, contre vents et marées, à mettre en place pour donner du temps au temps, du souffle, et permettre à la lumière de s’insérer et de prendre toute sa place entre les phrases, les paragraphes, les chapitres : de l’air, que diable, qu’on respire enfin ! Ici l’écrin est à la mesure du texte, merci donc à Jean-Noël Schifano et à ses équipes, et vive les autres polices que Times et Garamond !


Miguel Jan Manuel vit à Paris, sans doute pour fuir une histoire familiale un peu trop compliquée et un grand-père un peu trop célèbre. Rentier, il cache son ennui et son dernier échec amoureux comme critique au sein de la rédaction d’un magazine sur la musique, vit avec Octave, son chat junkie qui s’enivre des relents de fumée des drôles de cigarettes que son colocataire roule à tout bout de champ quand il ne s’affiche pas en tenue de cycliste aux couleurs immondes de vulgarité… Miguel laisse filer les journées et tente de tuer définitivement son ennui existentiel dans la quête du beau sexe. Sachant désormais que les femmes aiment l’insécurité dans la sécurité, sinon comment expliquer cette insatisfaction chronique qui font qu’elles ne sont jamais contentes de ce qu’elles ont ? « Plus elles sont frustrées et plus elles sont exigeantes, c’est comme pour le sexe : une femme cherchera toujours une raison, un homme un endroit. »


Bien fait de sa personne, il mène ainsi ses assauts sans trop de difficulté et s’en amuse jusqu’à ce que le jour de son anniversaire s’affiche sur le calendrier. Quelques amis s’invitent pour l’aider à faire passer la pilule : au-delà de quarante ans votre ticket est-il toujours valable ? Car si les seins des femmes sont de magnifiques objets transitionnels, Miguel sait aussi que le pendant féminin du Viagra sont les bijoux… or vivre sans elles est exclu, alors de quoi demain sera fait ? Pour faire diversion l’un de ses amis lui offre toute la série des James Bond, ou presque. D’ailleurs, on signalera à Mamadou Mahmoud N’Dongo que, ne lui en déplaise, Roger Moore est, certes, un James Bond à peu près crédible, mais que le seul, l’unique, l’authentique, est celui qu’il a oublié de citer (sic), George Lasenby, héros d’Au Service secret de Sa Majesté avec l’inoubliable Madame Peel, j’ai nommé Diana Ring dans le rôle de la Comtesse Teresa di Vincenzo… Car c’est uniquement dans ce film-là que tout y est, à commencer par l’esprit du livre ainsi que le charisme du personnage principal, crée par Ian Fleming, qui d’ailleurs se marie… Le tout servi par la musique de Louis Armstrong…


Bref, toutes ces petites mises en scène adroitement ajustées par N’Dongo tendent vers la question qui taraude tout homme, cet éternel questionnement sur le désir de parenté des pères qui sont, finalement et avant tout, des hommes/enfants qui ne recherchent que l’exclusivité de l’amour de leur femme et ne veulent en rien le partager… Chassez cet enfant, cet intrus ! Et pour quelle finalité ajouter un être supplémentaire à cette gabegie qui nous tient lieu de société où l’on oublie l’éducation pour dire sans cesse que toutes les cultures se valent, ce qui débouche sur un nivellement, lequel se fait TOUJOURS par le bas… D’ailleurs, « les seuls animaux qui restent toute leur vie en couple sont hermaphrodites. On est toujours tout seul, » se lamente Miguel en dégustant un beefsteak car il n’est pas végétarien puisque sa « copine exige un orgasme. »


Quand, justement, la porte sonne, son plus beau cadeau s’annonce : une escort-girl pour vingt-quatre heures. Pas moins. Une fille magnifique qui affiche sa féminité, cette « sublimation de ce qu’elle est, et de ce qu’elle devrait être pour être ce qu’elle désire être. » Il n’en croit pas ses yeux et confirme que « la première tentation c’est la tentatrice, pas la pomme ! » Après quelques secondes passées à rejeter son orgueil au fond de sa poche, et reconnaître que « la religion est une domestication du désir », il se jettera à corps perdu dans le déballage de ce présent pour le moins… étonnant. Et il n’est pas au bout de ses surprises quand la belle ouvrira son sac à malices…

 

Troussé comme un journal en cent vingt entrées, titres chipés à Bashung, Lou Reed, Nirvana ou T. Rex et tant d’autres (mais que vient faire cet imposteur de Benjamin Biolay ?), ce roman universel s’inscrira désormais dans la longue traînée blanche que la haute cheminée des possibles dissémine sur le ciel délavé de nos vies éclatées. Un brin d’épices pour chatouiller les consciences à une époque où elles ont grandement besoin d’être sérieusement stimulées…

 

François Xavier

 

Mamadou Mahmoud N’Dongo, Remington, Gallimard, coll. "Continents noirs", septembre 2012, 378 p. – 21,00 €


Du même auteur, publié en septembre 2010, La géométrie des variables

Aucun commentaire pour ce contenu.