Monsieur Météo, Mamadou Mahmoud N’Dongo et "La géométrie des variables"

Merveilleuse langue française que celle pratiquée par des non français ! Ne trouvez-vous pas que certains livres manquent de vocabulaire, d’ambition, de grandeur ? Alors aventurez-vous dans les strates de ces monuments de papiers que sont les ouvrages que les snobs rangent dans la francité, la francophonie ou tout autre argutie qui ne veut rien dire, sauf à nourrir des fonctionnaires incompétents. Il n’y a qu’une seule langue, française, et qu’elle soit taillée en poésie arabe sous la plume de Salah Stétié ou en roman de la main habille et pétillante de Mamadou Mahmoud N’Dongo, elle brille de mille éclats, elle brûle l’estomac et libère de l’endorphine, elle coupe le souffle et dessine des ravines sur les joues quand les yeux se relâchent... Elle est entière et multiple sous le même ciel étoilé de la littérature révélée. Mais elle se fait rare, aussi vous faut-il aller la chercher, la débusquer la coquine car à force de se faire rouer par les saltimbanques du vite fait mal écrit, elle se tapie dans les arcanes du rare, elle ne sort que par pleine lune... Donc, vous devez être patient et à l’écoute, non pas des grands médias couverts de brosse à reluire, mais des preux chevaliers de la chronique sans filet qui jamais ne vous diront qu’un livre est bon s’il ne l’est pas. Et celui-là, diable qu’il l’est !


Il nous est proposé par un jeune sénégalais qui a consacré ses études à l’histoire de l’art, à la littérature et au cinéma : autant dire qu’il a donc très vite compris comment aller à l’essentiel. Entre deux films, N’Dongo publie son cinquième livre, sans doute le plus abouti, le plus irrévérencieux aussi, et dieu que l’insolence a du bon par les temps qui courent... 


Avec un impérial cynisme il met à jour - pour ceux qui n’auraient pas encore saisi toute la nuance du rien, ce petit détail invisible qui permettrait de différencier la gauche de la droite - une manière de présenter froidement le paysage politique occidental par le biais d’une histoire toute simple. Et c’est bien là que réside toute la magie. Grâce à un don de la mise en scène - beaucoup de dialogues - et un vocabulaire particulièrement riche (agrémenté de trouvailles, comme cettebaladodiffusion en lieu et place de podcast), les scènes s’enchaînent, d’Amsterdam à Paris puis New York, et avec de très succinctes descriptions le cadre se dessine, les personnages prennent vie, comme s’ils étaient là, sous vos yeux, comme si vous les suiviez, ange gardien épiant leurs conversations. Osant une mise en page décalée, offrant de larges plages de silence, coupant volontairement un dialogue pour renvoyer à une autre page, comme en poésie quand on saute des lignes pour offrir une respiration, le temps de savourer la lenteur de la réflexion, N’Dongo construit son texte dans l’oralité et les mises en perspective. Si la phrase s’arrête ici, pour ne reprendre qu’à la page suivante, cela n’est pas sans raison : c’est qu’un guide muet, fil rouge invisible, trace une manière de lire qui permet la surbrillance de certains passages en imprimant une incroyable efficacité syntaxique.


Pierre-Alexis de Bainville est un spin doctor, un faiseur de pluie, un de ces fameux conseillers de l’ombre qui façonne l’image de l’homme politique pour qu’il dise ce que le peuple veut entendre et qu’il masque le vide sidéral qui le compose, lui le fat. Accompagné de son fidèle adjoint, Daour Tembley, métis issu d’une noble famille peul, Pierre-Alexis va recevoir un prix prestigieux aux Pays-Bas, comme un vieil acteur reçoit un César d’honneur pour l’ensemble de son œuvre... un détail qui ne lui échappe pas, et lui fait ouvrir son cœur à son jeune ami. On sent qu’il est désabusé, qu’il ne croit plus vraiment en son métier, et encore moins dans l’avenir politique de l’Occident depuis l’avènement d’une nouvelle classe politique qui n’a plus aucun idéal. Il sait très bien que la définition de l’homme politique selon Philippe Murray est totalement exacte : l’homme politique est un professionnel de l’événementiel ! Et si Chirac s’est avéré être un homme d’Etat, Sarkozy "est trivial, il n’a aucun sens de la grandeur ! Il a toujours été inculte, tyrannique et vulgaire..."


Bainville passe en revue ces trente dernières années, il a supervisé les principales élections des grands de ce monde. Et il est fatigué de fabriquer du consentement sans savoir réellement à quel moment cela devient de l’information et à quel moment de la propagande... L’idéal de ses débuts l’a fui, et même s’il se rappelle la phrase de Goethe -l’injustice est préférable au chaos - il semble rire de tout, mais rire jaune. Comme si un doute l’habitait, sans doute celui qui remet en question la théorie du chaos qui ne serait pas totalement néfaste, comme l’anarchie philosophique qui offre des possibles, mais avec un humain nettement moins avide de pouvoir... 
Bainville est désabusé, et comment ne le serions-nous pas quand on prend conscience que "le basculement de la culture dans le loisir, c’est la pauvreté de la modernité", la face cachée de cette société modèle que certains veulent nous vendre. 


N’Dongo reconnaît s’être heurté aux éléments de langage des responsables politiques qui, indéniablement, inévitablement, avaient tous le même discours, les mêmes phrases toutes faites : c’est cette grande vacuité bien souvent spécieuse qui l’a ébranlé et conduit à inventer ce personnage de Bainville, condensé de plusieurs communiquants - passés et contemporains - qui ont eu une certaine incidence sur l’histoire politique récente.


Alors, si vous voulez un peu de verbatim, vous dessiller les yeux et prendre conscience de ce qui se joue - et comment -, plongez vous dans ce roman haletant et désopilant.


François Xavier


Mamadou Mahmoud N’Dongo, La Géométrie des variables, Gallimard, "continents noirs", septembre 2010, 320 p. - 19,50 €

Du même auteur, publié en septembre 2012, Remington

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